En Colombie, les ex-guérilleros enfilent « l’uniforme » de Don Bosco
17 octobre 2021
En Colombie, la guérilla a débuté en 1952 et a fait 300 000 morts. Elle a favorisé le développement de puissants cartels de la drogue. Le 2 octobre 2016, le peuple colombien a ratifié l’accord négocié entre le président Santos et le leader du FARC, principal mouvement guérillero. Au Centre Don Bosco de Cali, des jeunes qui n’ont connu que la guérilla sont accueillis et accompagnés.
A leur arrivée à la maison de Cali, les jeunes ex-guérilleros reçoivent l’uniforme et les outils qui correspondent au métier qu’ils ont choisi d’apprendre. Ils ont toujours porté l’uniforme quand ils appartenaient à l’un des groupes armés, qui tiennent toujours en échec le processus de paix en Colombie. Embrigadés très jeunes, on leur a donné des uniformes et des armes. Pour ceux qui étaient inaptes au combat, c’était un balai ou la louche pour touiller dans la marmite.
De l’esclavage à la liberté
Au Centre Don Bosco, quand ils reçoivent la tenue de protection pour les ateliers et les livres scolaires, ils passent de l’ignorance à la reconnaissance de leur identité personnelle, de l’esclavage à la liberté. À peine âgés de 7-8 ans, ces enfants ont été arrachés à leur famille et enrôlés dans les diverses factions de guérilleros. On les a obligés à presser la gâchette, à lancer une bombe, à devenir les domestiques des officiers, à servir d’exutoire à la sexualité des adultes.
Depuis 20 ans, les salésiens ont mis en place une structure spécifique pour accueillir ces jeunes en manque d’identité et de confiance. Ce n’est pas facile de se reconstruire quand on n’a connu que des adultes hurlant des ordres absurdes, des chefs qui n’ont aucun respect des droits et des lois. On les a forcés à oublier tout leur vécu familial ; ils n’ont pas connu d’enseignant ou d’éducateur. On les a obligés à désigner quelqu’un de leur famille à abattre pour bien leur faire comprendre qui est le chef dans tel territoire qui échappe à l’autorité de l’Etat. Parfois, ils ont été obligés de le faire eux-mêmes sous la menace d’un pistolet sur la tempe. Chez ces caricatures de révolutionnaires, ils ont été à l’école de la violence à l’état pur. Au centre Don Bosco, il faut aussi les protéger des journalistes avides de récits d’horreurs…
Les éducateurs, eux, insistent sur le futur, afin de libérer leur mémoire et leur rendre leur âme. Comment redonner la foi perdue au cours des années passées dans les broussailles, en évitant de les culpabiliser ? Comment les rapprocher de Dieu sans nier le traumatisme laissé par les crimes, quand ils ont dû piétiner leur conscience pour ne pas devenir fous ? L’enjeu est décisif : pardonner pour ce qu’on leur a fait, et se pardonner à soi-même. Cela peut se faire grâce à l’expérience de l’affection paternelle que Don Bosco veut leur communiquer.
Une maison et un métier, la joie et la foi
Les jeunes de Cali trouvent une équipe de professionnels qui les aide à établir un plan d’études et à choisir une profession. Cinq salésiens y sont investis de façon très concrète. Les trente adolescents qui vivent avec eux bénéficient des aides de l’Etat, mais ils ne reçoivent aucun subside pour les matériaux et les équipements personnels. Or, les ateliers sont les piliers essentiels du développement social des jeunes, pour l’acquisition des règles de protection lors de la manipulation des machines et des produits, et pour l’apprentissage d’un savoir-faire concret. Les spécialisations proposées sont des chemins d’avenir : électricité, mécanique industrielle, garage automobile ou moto, cuisine, confection, soins de beauté, soudure, systèmes informatiques, comptabilité, bibliothécaire, vente. Le tout accompagné de la recherche de leurs qualités personnelles et de la valorisation optimale de chacun.
Il ne faut rien attendre des familles, victimes elles-mêmes de la violence subie : elles jugent leurs enfants irrécupérables, ou elles sont exposées à des menaces de la part des bandes armées qui les considèrent comme des traîtres. La majeure partie des ex-soldats proviennent de familles paysannes pauvres qu’il n’a pas été possible de joindre à cause des difficultés d’entrer en communication, et parce qu’elles ne cessent de se déplacer dans les zones où elles vivent.
Une nouvelle bataille
Pour des motifs de sécurité, la vie de ces jeunes se déroule à l’intérieur du centre : leurs noms n’ont pas été rayés des listes aux mains des chefs guérilleros, qui sont toujours prêts à réclamer leurs services ou à se venger. Les jeunes sortent accompagnés par des éducateurs, selon un programme compatible avec les processus développés en interne.
Il est nécessaire de les réhabituer aux relations gratuites, en partageant les moments de repas et de loisirs, pour qu’ils retrouvent le sens des règles du vivre ensemble. Une fois qu’ils ont repris confiance en eux et grâce aux progrès dans leur parcours professionnel, ils se laissent alors volontiers photographier dans leur uniforme de travail.
L’isolement et les règles de protection requises leur ont permis d’affronter la pandémie de Covid-19 qui frappe lourdement la santé et l’économie des Colombiens. Contraints de renoncer à leurs rendez-vous en ville, ils se sont rendus utiles, en convertissant une partie de leurs activités à la production de masques : une façon de se réhabiliter comme citoyens.
Jean-François MEURS