Congrès de l’éducation salésienne 2022 : « Ne laissons pas youtube être la nounou ou l’éducateur de nos enfants ! »
26 mars 2022
Que retenir du Congrès de l’éducation salésienne, qui s’est tenu les 25 et 26 mars 2022 à Lyon-Valpré ? Des tables rondes, des groupes de travail, des ateliers et échanges de cette édition consacrée au thème « Le numérique, allié ou menace pour l’éducation ? » ? Voici les phrases fortes, les convictions profondes, les données incontournables, les punchlines, de près de deux jours d’échanges passionnés.
Les dangers du numérique
Michel Desmurget, docteur en neurosciences (Lyon) : « La théorie des digital native, ces jeunes qui seraient nés à l’époque du numérique et qui en comprendraient tous les codes est un mythe. L’usage principal qu’ils font du numérique est un usage récréatif, qui prend de plus en plus de place, 7h22 chaque jour chez les 13-18 ans ! » « Les études montrent que TV, jeux vidéo et réseaux sociaux ont des effets néfastes sur les résultats scolaires. Pourquoi ? Parce que cela joue sur le temps consacré aux devoirs, et sur la durée et la qualité du sommeil, avec une diminution du sommeil dit profond ». Une consommation trop importante et trop précoce des outils numériques a aussi des effets négatifs sur le langage et sur la lecture. Et sur la qualité de l’attention.
Séverine Lejeune, pédopsychiatre lyonnaise, abonde : « La surexposition aux écrans provoque des troubles de la régulation émotionnelle, des retards de langage, du surpoids lié à la sédentarité. Et il y a une forme d’irréversibilité », souligne-t-elle.
Alain Bentolila, linguiste (Université Paris-Descartes), président du conseil scientifique des Maisons Don Bosco, évoque deux dangers majeurs. D’abord les algorithmes, « qui prétendent nous connaître mieux que nous et qui nous enferment » : « C’est le contraire de la conquête et du franchissement. La lecture, c’est se créer des images avec les mots d’un autre, c’est la découverte, c’est tout l’inverse des algorithmes. » Ensuite, l’addiction aux images. « Cette idée que je ne crois que ce que je vois et, pire encore, je n’existe que parce que je suis vu, c’est tout l’opposé de la pensée scientifique, qui est : Méfie-toi de ce que tu vois, méfie-toi des apparences ».
Bruno Duvauchelle, enseignant-chercheur (université de Poitiers), revient sur le rouleau compresseur que constitue la numérisation de la société, son informatisation : « L’informatique a été consacrée comme moteur de l’accélération de la société ». Il ne s’agit pas de s’y opposer mais d’y réflechir. Et notamment en matière d’éducation : « La pédagogie est première dans toute transformation », rappelle-t-il. Cette question de l’apprentissage des outils numériques et de la façon de vivre avec ces outils se posent de plus en plus tôt : « En cinq ans, les premiers équipements en smartphone sont passés de la 4e à la 6e, puis au CE2 ». Parmi les questions qui méritent réflexion : la question de la connexion permanente d’abord, mais aussi le mythe de l’intelligence artificielle (« L’algorithme, c’est une volonté humaine mise dans une machine »).
Conclusion de ce constat : « Le numérique est un allié formidable du maître, notamment dans la mise en place d’une pédagogie de la différenciation. Mais quand il fait « écran », il faut le condamner » (Alain Bentolila).
Ce que la pédagogie salésienne nous offre comme repères
« En héritiers de Don Bosco, lui-même bon communicant, nous l’entendons nous susurrer à l’oreille : « Soyez présents là où sont les jeunes ». Le numérique est là, il fait partie de nos foyers, de nos écoles, de nos internats, de nos maisons d’enfants. Il est tout simplement là (…) Comme toujours pour nous, salésiennes et salésiens, la question est celle de l’accompagnement des jeunes. Comment les accompagner pour qu’ils ne soient pas enfermés, ligotés, pouvant alors encourir le risque de perdre leur liberté et leur identité dans ce monde virtuel et pourtant bien réel ? » (sœur Marie-Agnès Chetcuti, provinciale).
« Le mal a toujours été présent dans notre monde. La première usurpation d’identité, on la trouve non pas sur internet, mais dans la Genèse, avec le diable qui prend la forme d’un serpent. A l’époque du minitel, il y a eu le minitel rose. Donc, oui, il y a du mal dans le numérique. Notre rôle d’éducateur, c’est d’aider les jeunes à réfléchir sur leurs pratiques », souligne le frère Sébastien Robert, éducateur à Argenteuil, webmaster, formateur, très actif sur Twitter. « Par exemple, Il y a l’éducation à la responsabilité au clic. On sait qu’un clic ou un commentaire, même pour critiquer un message ou une vidéo, va favoriser le message, via l’algorithme. Il faut donc l’expliquer aux jeunes : si ce n’est pas bien, ignorez le message ».
Il faut aussi inviter les jeunes, sans cesse, au « retour au réel » : la musique, la danse, le sport, les activités en tout genre. « A Argenteuil, chaque dimanche après-midi, nous proposons un patro où les jeunes viennent jouer. Je vous assure qu’ils n’ont pas besoin de leur smartphone dans l’après-midi ! », témoigne-t-il. « A nous, dans nos établissements scolaires, de reconquérir certains temps avec des propositions extra-scolaires ».
Sœur Anne-Flore Magnan, éducatrice spécialisée, étudiante en master 2 de sciences de l’éducation, pointe un paradoxe : « Un sondage Médiamétrie de 2020 montrent que les adultes utilisent plus internet que les ados… Et d’ailleurs, l’âge moyen des joueurs de jeux vidéo en France est de… 38 ans ». Se pose alors la question de l’exemplarité : et moi, quel est mon usage du smartphone ?
Mais ce qui l’inquiète, c’est la différence d’usage suivant les familles : « Il a été prouvé que les équipements sont plus précoces dans les milieux populaires ; que les familles diplômés équipent plus tard leurs enfants et régulent mieux les usages. Internet reproduit les fractures de la société qui existaient déjà ».
Elle suggère deux pistes aux éducateurs (parents, enseignants, etc.) : une éducation de la parole et une éducation au choix. La parole d’abord : je dois dialoguer avec mon enfant. Quand il rentre d’une activité sportive, il raconte ce qu’il a vécu. Quand il pose son téléphone, on peut l’interroger sur ce qu’il a fait, ce à quoi il joue, ce qu’il montre de lui, ce qu’il consomme. Le choix ensuite : c’est faire comprendre au jeune que le temps est contraint, que le temps sur l’écran, c’est du temps en moins pour d’autres activités : « Ne laissons pas youtube être la nounou ou l’éducateur de nos enfants ».
Bruno Germain, enseignant-chercheur (université de Paris, laboratoire CIFODEM), linguiste, abonde : « Il faut apprendre aux élèves à maîtriser l’outil, pour devenir celui qui contrôle l’outil et non celui qui est contrôlé par l’outil ». C’est valable pour le fonctionnement des algorithmes ou pour les notifications (les désactiver pour éviter d’être continuellement dérangé). « Oui au numérique pourvu qu’il n’écarte pas le bien-être personnel, l’esprit citoyen, le libre-arbitre ».
Que dirait Don Bosco lui-même ?
« Jean Bosco viendrait aujourd’hui… il passerait certainement par la maison provinciale à Paris et croiserait des gens qui parlent tout seuls dans la rue ou d’autres, dans le métro, qui ont le regard plongé dans leur téléphone. Il serait évidemment surpris, mais tout de suite après, je suis sûr qu’il serait enthousiaste ! », conclut le père Daniel Federspiel, provincial des Salésiens de Don Bosco France-Belgique-Maroc. Et de délivrer trois mots, trois postures de l’éducateur salésien face aux jeunes sur cette question :
L’authenticité. « Restons authentique dans la relation au jeune, dans la cour de récréation comme sur les réseaux sociaux »
L’écoute. « Leur désir sans bornes d’obtenir le plus de likes possibles est souvent un cri pour être écoutés, pris au sérieux. Ecoutons-les. Dialoguons avec eux. »
La positivité. Parce que l’Evangile est une bonne nouvelle, nous devons chercher à voir les choses belles et bonnes. Comme Don Bosco qui regardait toujours le côté positif de chaque jeune.
« Un pilier non négociable de notre pédagogie salésienne est la présence : être avec les jeunes, là où ils sont, être là pour eux. Pour une majorité de jeunes, le smartphone est devenu un lieu de vie. A nous, comme adultes et éducateurs, d’être au milieu d’eux, afin que nous puissions avec eux « liker » leur chemin de vie ! », avait lancé le premier matin, sœur Marie-Agnès Chetcuti.