Colloque sous l’égide de l’UNESCO sur Thérèse de Lisieux : le père Jean-Marie Petitclerc invité à relire la « petite voie de Thérèse » comme chemin d’éducation
11 décembre 2023
Photo : Sainte Thérèse de Lisieux et son père Louis Martin – Maison de sainte Thérèse à Lisieux.
A l’occasion d’un colloque organisé au Conseil départemental de l’Orne, sous l’égide de l’UNESCO, le père Jean-Marie Petitclerc, salésien de Don Bosco, prêtre et éducateur, a été invité à relire l’héritage de Thérèse de Lisieux du point de vue de l’éducation. Il dresse un parallèle entre celui-ci et la spiritualité éducative de Jean Bosco.
Dans ce travail de recherche, père Jean-Marie Petitclerc, salésien, Normand d’origine comme sainte Thérèse, s’appuie sur « la triple expérience éducative de la petite Thérèse » : en famille, au carmel en qualité de maîtresse des novices et sur le plan de la direction spirituelle.« S’il est une expression qui caractérise le mieux la spiritualité de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est celle de « Petite Voie ». Ainsi que le rapporte sainte Marie de la Trinité, « ce qu’elle appelait sa Petite Voie d’enfance spirituelle était le sujet continuel de nos entretiens. Les privilèges de Jésus sont pour les tout petits, me répétait-elle. Thérèse ne tarissait pas sur la confiance, l’abandon, la simplicité, la droiture, l’humilité du petit enfant et me le proposait toujours comme modèle. »
Le fondement de cette « petite voie » est l’amour.
I – UNE TRIPLE EXPÉRIENCE ÉDUCATIVE
1 ) En famille
« Quand nous avons eu nos enfants, nous ne vivions plus que pour eux [1]» aimait dire Zélie Martin.
La petite Thérèse, qualifiée de petite reine par son père, bénéficia de l’affection de ses parents, qui aimaient jouer avec leurs cinq filles. Les enfants ont été éduqués à l’obéissance, dans un esprit de vérité et de justice, mais imprégné de confiance et d’amour. « Chez nous, nous avons été tellement formées à l’obéissance, que celle-ci était une obéissance par amour et non par crainte des punitions. »[2] Thérèse grandit au milieu de ses quatre sœurs, Louise, Pauline, Léonie et Céline, les trois autres enfants du couple Martin étant morts en bas âge. Elles furent pour elle des modèles à imiter.
Écoutons-la parler du « mimétisme », avec l’histoire de ces petits oiseaux : « Je me souviens que, parmi mes oiseaux, j’avais un serin qui chantait à ravir ; j’avais aussi un petit linot auquel je prodiguais mes soins maternels, l’ayant adopté avant qu’il ait pu jouir de sa liberté. Ce pauvre petit prisonnier n’avait pas de parents pour lui apprendre à chanter, mais entendant du matin au soir son compagnon le serin faire de joyeuses roulades, il voulut l’imiter… Cette entreprise était difficile pour un linot, aussi sa douce voix eut-elle bien de la peine à s’accorder avec la voix vibrante de son maître en musique. C’était charmant de voir les efforts du pauvre petit, mais ils furent couronnés de succès, car son chant, tout en conservant une bien plus grande douceur, fut absolument le même que celui du serin. »
Et Thérèse de conclure : « Ô ma mère chérie ! C’est vous qui m’avez appris à chanter … C’est votre voix qui m’a charmée dès l’enfance, et maintenant j’ai la consolation d’entendre dire que je vous ressemble ! Je sais combien j’en suis encore loin, mais j’espère malgré ma faiblesse redire éternellement le même cantique que vous. »[3]
Après la mort de Zélie Martin, Thérèse n’avait que quatre ans et demi, c’est Pauline, sa grande sœur, qui reprit le rôle maternel. Écoutons la petite Thérèse parler de l’éducation reçue :
« Je regarde comme une vraie grâce d’avoir été habituée par vous, à surmonter mes frayeurs. Parfois, vous m’envoyiez, seule le soir, chercher un objet dans une chambre éloignée. Si je n’avais pas été si bien dirigée, je serais devenue très peureuse, au lieu que maintenant je suis vraiment difficile à effrayer… Je me demande parfois comment vous avez pu m’élever avec tant d’amour et de délicatesse sans me gâter, car il est vrai que vous ne me passiez pas une seule imperfection, jamais vous ne me faisiez de reproche sans sujet, jamais vous ne reveniez sur une chose que vous aviez décidée. Je le savais si bien que je n’aurais pas pu ni voulu faire un pas si vous me l’aviez défendu … »[4]
Cette éducation reçue en famille inspira les principes éducatifs qui furent ceux de Ste Thérèse.
2 ) L’expérience de maîtresse des novices
Au carmel, devenue maîtresse des novices, Thérèse fit tout pour que sa relation avec chacune s’édifie dans la confiance et que la liberté de chacune soit respectée. Elle s’adapta avec intelligence à chaque type de personnalité. « On sent qu’il faut absolument oublier ses goûts, » nous dit-elle, « ses conceptions personnelles, guider les âmes par le chemin que Jésus leur a tracé, sans essayer de les faire marcher par sa propre voie. »
Elle remarque : « j’ai vu d’abord que toutes les âmes ont à peu près les mêmes combats, mais qu’elles sont si différentes d’un autre côté (…) Aussi est-il impossible d’agir avec toutes de la même manière. Avec certaines âmes, je sens qu’il faut me faire petite, ne point craindre de m’humilier en avouant mes combats (…) Avec d’autres, j’ai vu qu’il faut au contraire, pour leur faire du bien, avoir beaucoup de fermeté et ne jamais revenir sur une chose dite. S’abaisser ne serait point alors de l’humilité, mais de la faiblesse. »[5]
3 ) L’expérience de la direction spirituelle
Grâce à son abondante correspondance, Thérèse deviendra accompagnatrice spirituelle de celles et ceux qui la sollicitèrent.
Arrêtons-nous sur les conseils qu’elle donnait à sa cousine Marie Guérin, qui lui confiait ses tourments issus de ses scrupules alimentés par ses séjours parisiens : « Ma Thérèse chérie, » lui écrit-elle, « je viens encore te tourmenter, et je sais d’avance que tu ne vas pas être contente de moi, mais, que veux-tu, je souffre tant que cela me fait du bien de verser toutes mes peines dans ton cœur. Paris n’est pas fait pour guérir les scrupuleux, je ne sais plus où tourner mes regards ; si je fuis une nudité, j’en rencontre une autre, et ainsi de suite toute la journée, c’est à en mourir de chagrin. (…) Je ne sais si tu vas me comprendre, j’en ai tant dans ma pauvre tête que je ne sais le débrouiller. (…) Comment veux-tu que je fasse la sainte communion demain et vendredi ; je suis obligée de m’en abstenir, c’est pour moi la plus grande épreuve. »[6]
Thérèse lui répond dès le lendemain : « Tu as bien fait de m’écrire, j’ai tout compris … Tu n’as pas fait l’ombre du mal, je sais si bien ce que sont ces sortes de tentation que je puis te l’assurer sans crainte, d’ailleurs Jésus me le dit au fond du cœur … Il faut mépriser toutes ces tentations, n’y faire aucune attention. Faut-il te confier une chose qui m’a fait beaucoup de peine ? C’est que ma petite Marie a laissé ses communions (…) Ce qui effraie Jésus, ce qui le blesse au cœur, c’est le manque de confiance. »[7]
Ainsi, dans sa réponse, Thérèse opère un déplacement. A sa cousine qui se faisait des scrupules à cause de son attachement à des images obscènes, voici que Thérèse répond que le véritable problème est son manque de confiance en l’amour de Jésus.
II – ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA PETITE VOIE DE THÉRÈSE EN ÉDUCATION
S’il est une expression qui caractérise le mieux la spiritualité de Ste Thérèse de l’Enfant Jésus, c’est celle de « Petite Voie ». Ainsi que le rapporte Ste Marie de la Trinité, « ce qu’elle appelait sa Petite Voie d’enfance spirituelle était le sujet continuel de nos entretiens. « Les privilèges de Jésus sont pour les tout petits, me répétait-elle » Elle ne tarissait pas sur la confiance, l’abandon, la simplicité, la droiture, l’humilité du petit enfant et me le proposait toujours comme modèle. »
À partir de l’expérience éducative que nous venons de décrire, arrêtons-nous sur les caractéristiques de cette « petite voie » appliquée au domaine de l’éducation.
1) L’amour
On n’éduque pas par programme ou par principe, mais seulement par amour. À ce sujet, Don Bosco aimait répéter à ses disciples : « L’important n’est pas que les jeunes soient aimés, mais qu’ils se sachent aimés. »[8]
Tel était le fondement de l’attitude éducative de la petite Thérèse. Et lorsqu’elle devait corriger tel ou tel comportement, – ce qui lui coûtait beaucoup, nous dit-elle – « J’aimerais mille fois mieux recevoir des reproches que d’en faire aux autres » – elle ne se dérobait pas – « Il faut que je fasse mon devoir »[9]-, mais savait montrer, par sa bienveillance, qu’elle accomplissait cette tâche avec amour.
2) L’humilité
Si le fondement de la « petite voie » thérésienne est l’amour, l’humilité en est le moteur.
L’humilité, la plus humble des vertus,- car celui qui dit « je suis humble » ne l’est déjà plus -, est une vertu à conquérir, et son ange gardien, avec qui Thérèse entretenait une relation de proximité, se réjouissait de ses progrès « Plus tu me vois humble et petite, plus ton front est radieux. »[10]
Cette humilité conduit Thérèse, quand elle prend la mesure de la tâche à accomplir (rappelons qu’à 20 ans, elle était chargée de la formation des novices), à se placer dans les bras de Dieu, en imitant les tout-petits « qui, sous l’emprise de quelque frayeur, cachent leur tête blonde sur l’épaule de leur père. »[11]
Une telle humilité la conduit, comme on l’a vu avec sa cousine, à ne jamais porter de jugement sur l’enfant, l’adolescent commettant un écart de comportement, mais à l’inviter à répondre à l’amour de Jésus.
3 ) La douceur
Avec l’humilité vient nécessairement la douceur. « Mettez-vous à mon école, car je suis doux et humble de cœur » (Mt 11, 29).
La douceur, loin d’être une faiblesse, est au contraire une force tranquille, pleine de patience et de mansuétude. Elle est synonyme d’accueil, de respect, d’ouverture.
Pour Don Bosco, qui avait pris comme résolution au jour de son ordination sacerdotale : « la charité et la douceur de St François de Sales me conduiront en tout », la douceur est la qualité première de l’éducateur.
Combien de fois me suis-je rendu compte dans la pratique de mon métier d’éducateur spécialisé, que le jeune qui se serait vivement rebellé s’il s’était senti agressé par un regard de mépris, ne résiste pas à la douceur d’un regard posé sur lui, non pas pour le juger, mais pour l’aimer !
La douceur caractérise la « petite voie » de Thérèse en éducation. Elle en fit l’apprentissage dans la vie familiale, où la figure de St François de Sales était familière (rappelons qu’une de ses tantes était visitandine). Elle dira d’ailleurs à propos de son père : « A l’exemple de St François de Sales, il était parvenu à se rendre maître de sa vivacité naturelle, au point qu’il paraissait avoir la nature la plus douce du monde. »[12]
4 ) La confiance
S’il fallait enfin résumer en un mot cette « petite voie » en éducation, je choisirai celui de « confiance », qui caractérise la posture de Thérèse, qui ne cessait de se référer à l’image du tout-petit qui ne peut que faire confiance.
La confiance, pour Don Bosco, est le mot clef en éducation. « Sans confiance, pas d’éducation » aimait-il répéter à ses disciples. Et nous avons vu combien Thérèse, dans l’accompagnement des novices, avait pour souci premier d’établir une relation de confiance avec chacune d’entre elles.
CONCLUSION
« Manifeste ton amour, reste humble, sois doux, fais confiance », combien ces quatre repères qui balisentent « la petite voie » thérésienne restent pertinents pour relever le défi de l’éducation des enfants et des adolescents d’aujourd’hui.
On reconnaît là l’influence de St François de Sales, qui marqua tant Don Bosco que la petite Thérèse. Et je conclurai par cette comparaison que nous livre Thérèse entre l’éducateur et le jardinier – d’ailleurs Don Bosco aimait lui aussi comparer l’art de l’éducation à celui du jardinage – : « Je le sais, le bon Dieu n’a besoin de personne pour faire son œuvre, mais de même qu’il permet à un habile jardinier d’élever des plantes rares et délicates et qu’il lui donne pour cela la science nécessaire, se réservant pour lui-même le soin de féconder, ainsi Jésus veut être aidé dans sa divine culture des âmes (…)
Qu’arriverait-il si un jardinier maladroit ne greffait pas bien les arbustes ? S’il ne savait pas reconnaître la nature de chacun et voulait faire éclore des roses sur un pêcher ? … Il ferait mourir l’arbre qui cependant était bon et capable de produire des fruits (…) » Et, comme aimait le dire Don Bosco, aucun jardinier ne tirera sur la tige pour faire pousser plus vite la plante. « C’est ainsi qu’il faut savoir reconnaître dès l’enfance ce que le bon Dieu demande aux âmes et seconder l’action de grâce sans jamais la devancer ni la ralentir. »[13]
La « petite voie » de Thérèse en éducation se veut très pragmatique !
Père Jean-Marie PETITCLERC
Salésien de Don Bosco
Communauté de Paris
[1] KOSLOSKI Philippe – Les cinq conseils des parents de sainte Thérèse pour éduquer vos enfants – Site Aleteia, 2 août 2018
[2] Mgr Jean-Claude BOULANGER – Louis et Zélie Martin, la joie du don –Parole et silence, 2015
[3] Paroles de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus citées par CHEAIB Robert in « Éduquer les enfants à la foi » Salvator 2020
[4] Correspondance de Ste Thérèse Ms A 19
[5] Correspondance de Ste Thérèse Ms C
[6] Correspondance de Ste Thérèse lettre 113 du 29 mai 89
[7] Correspondance de Ste Thérèse lettre du 30 mai 89
[8] DON BOSCO – lettre de Rome de 1804 in Écrits pédagogiques – Salvator 2020
[9] GAUTHIER Jacques – Thérèse de Lisieux, Paroles d’espérance pour la famille – Éditions des Béatitudes, 2021
[10] Poème « À mon ange gardien » écrit en janvier 1897
[11] LEJEUNE René – La petite voie de Ste Thérèse – édition du Parvis 1996 p.33
[12] KOSLOSKI Philip op.cit. p.3
[13] Paroles de sainte Thérèse de l’Enfant Jésus citées par CHEAIB Robert in « Éduquer les enfants à la foi » Salvator 2020 p. 21