Mathieu Halbwachs, un ancien élève du lycée Costa de Beauregard (Chambéry) à la manœuvre pour sauver le lac Kivu (RD Congo)
12 janvier 2024
Après ses études au lycée Costa de Beauregard, établissement salésien de Chambéry, où il s’est formé en horticulture, Mathieu Halbwachs a beaucoup voyagé, des Alpes au Brésil. Il vit désormais entre Chambéry et la République Démocratique du Congo, où il participe au dégazage du lac Kivu. Une explosion pourrait y tuer des milliers de personnes.
Du gaz dans un lac ? « Oui, cela étonne. Le lac Kivu fait partie des trois lacs au monde, avec les lacs Nyos et Monoun au Cameroun, qui renferment de très fortes concentrations de gaz », explique Mathieu. Il s’agit de gaz carbonique et de méthane. Ces lacs ont une particularité : les eaux du fond ne se mélangent jamais avec celles du dessus. Il y a comme un couvercle permanent, à 250 mètres en dessous de la surface, qui empêche les eaux de remonter. Le gaz carbonique et le méthane sont stockés au-dessous.
« Le gaz carbonique serait d’origine volcanique. Des sources d’eau profonde provenant des failles du sol du lac apporteraient ce gaz. Pour le méthane, c’est peut-être la même origine volcanique mais probablement aussi une décomposition de la matière organique, les sédiments qui meurent et coulent vers les eaux profondes qui les retiennent. »
Ce méthane est une richesse potentielle considérable si on s’en sert pour produire de l’électricité, elle attire la convoitise de bon nombre de grands groupes industriels rwandais et américains. Mais le plus important pour Matthieu et son père, ce n’est pas l’intérêt économique éventuel de ce lac mais sa dangerosité, qu’il faut combattre.
Risque d’explosion majeure
« Une éruption volcanique, un tremblement de terre peuvent surgir à tout moment faisant remonter à la surface les eaux du dessous contenant les gaz dissous en très forte concentration, sous forme d’une explosion gazeuse, comme une bouteille de champagne, provoquant un nuage de gaz qui pourrait s’élever à plus de 100 mètres au-dessus du niveau actuel du lac », raconte Mathieu. Ce nuage pourrait asphyxier toute la région, faisant mourir toutes les formes de vie jusque dans la ville de Goma (2 millions d’habitants). Tout autour du lac, ce sont des montagnes à 1400 mètres d’altitude, le gaz resterait dans la vallée et anéantirait tout. C’est ce qu’il s’est passé au lac Nyos, au Cameroun, dans les années 80.
Une solution respectueuse de l’écologie du lac
Le père de Mathieu, vulcanologue qui a fait partie de l’équipe d’Haroun Tazieff et spécialiste de ces questions, a eu l’idée de créer une espèce de siphon qui aspire l’eau du fond dans des tubes. En remontant, elle crée des bulles au contact de l’air, ce qui provoque un jet d’eau et le gaz va se dissiper dans l’air de façon progressive et mesurée. Puis, un système permet de récupérer cette eau dégazée pour qu’elle redescende au-dessous de 250 mètres et ne pollue pas la flore car très riche en sédiments, elle risquerait de provoquer un développement trop important d’algues, grandes consommatrices d’oxygène qui finirait par manquer à la vie du lac.
Du point de vue écologique, dit Mathieu, « je trouve dommage de vouloir produire de l’électricité avec le méthane car le Congo a de grands barrages et pas vraiment besoin d’électricité et je crains que ces grands complexes industriels qui se livrent concurrence, ne se donnent pas trop la peine de trouver comment extraire ce méthane sans rejeter l’eau à la surface, ce qui polluera le lac.
Une petite production locale serait peut être intéressante pour la mine d’étain qui est à proximité. Car le minerai est envoyé très loin, dans d’autres pays pour être transformé en lingots. Ce serait une économie de fabriquer ces lingots sur place. »
Sensibiliser la population
Avec l’entreprise de son père, Mathieu a participé, il y a 7 ans, à la construction d’une petite station pilote de dégazage pour montrer à la population qu’il y avait un problème et qu’il fallait le résoudre et de quelle manière on pouvait le faire. Car les gens pêchent dans le lac, c’est leur activité principale.
Mathieu avec le personnel de l’entreprise monte en ce moment une des trois stations de dégazage qu’ils envisagent de créer sur ce lac.
Mathieu n’est pas scientifique, n’a aucun diplôme dans ce domaine. Il se charge de l’achat du matériel et de la logistique : acheminer les tubes là-bas, acheter les bateaux pour monter les stations sur le lac, envoyer des containers depuis l’Europe jusqu’au bord du lac, les décharger. Il recrute aussi le personnel pour aider à monter les stations de dégazage, se charge des négociations avec le ministère en charge de l’écologie et de l’exploitation d’énergie du Congo, entreprend des démarches diplomatiques avec les différentes administrations.
Un travail enrichissant
Mathieu a beaucoup voyagé dans sa vie depuis son plus jeune âge, car il suivait son père dans ses diverses expéditions. Il a eu l’occasion de rencontrer la pauvreté mais c’est ici, dit-il, qu’il a rencontré la plus grande pauvreté : « Ce lac est à la frontière entre le Congo et le Rwanda et toute la région est en guerre. Les rebelles vont et viennent. Cette situation génère une grande misère. »
« Après le dégazage, on pourra multiplier la vie dans le lac : poissons, planctons etc.. et cela améliorera la vie des gens. Pendant l’été 2023, la première station a été montée. L’an prochain, on en montera deux autres et après, il faudra un suivi. »
Une aventure qui en vaut la peine
Mathieu aime l’aventure. En témoigne son parcours professionnel atypique qui va de la culture de la vigne à la fondation d’une école de langues pour moniteurs de ski en passant par la gestion d’une hôtellerie au Brésil, le métier de facteur ou encore un travail dans la fibre optique. Il a du mal à s’ancrer dans une activité et à y rester : « J’ai du mal avec la monotonie. Au bout d’un moment j’ai besoin de vivre. » Mais il juge ce travail au lac Kivu « passionnant » et puis « ça guérit l’âme de faire quelque chose pour les autres. Après, je verrai bien ce que je ferai, des lacs comme celui-ci, il n’y en a que trois dans le monde. »
Sœur Joëlle DROUIN
Et le Bocage ?
« Ce que m’a apporté le Bocage ? Une sensibilité à l’écologie, des connaissances horticoles que j’ai toujours su mettre à profit : comme jardinier à la Pousada, quand je ne parlais pas encore couramment le brésilien, et encore aujourd’hui, dans mon jardin et de belles amitiés que je continue d’entretenir ! J’ai passé au Bocage mes plus belles années, que ce soit la pédagogie utilisée par les enseignants, les apprentissages : un pas dans le professionnel, un pas dans la pratique et un autre dans la théorie ou dans les rencontres et les amitiés que j’ai nouées ces années-là ! »