L’actualité de Xavier Thévenot, vingt ans après sa disparition : Don Bosco en héritage

12 décembre 2024

L’actualité de Xavier Thévenot, vingt ans après sa disparition : Don Bosco en héritage

Le samedi 7 décembre 2024, l’Institut catholique de Paris rendait hommage au père Xavier Thévenot, salésien de Don Bosco, figure française du XXe siècle en théologie morale, à l’occasion du 20e anniversaire de sa disparition. Lors de ce colloque intitulé « L’actualité de Xavier Thévenot (1938-2004), 20 ans après », le père Jean-Marie Petitclerc a rappelé à quel point les enseignements de saint Jean Bosco ont énormément apporté au théologien.

Père Jean-Marie Petitclerc.

Évoquer Xavier Thévenot renvoie nécessairement à ses travaux de théologien. Son activité de professeur de théologie morale constitua en effet une part importante de sa vie religieuse.

Mais n’ oublions pas qu’il fut d’abord Salésien de Don Bosco. S’il n’avait été appelé, par son provincial d’alors, à se préparer à prendre la suite, à l’Institut Catholique de Paris, du professeur René Simon, lui aussi Salésien de Don Bosco, il aurait pu être un excellent enseignant de sciences physiques en lycée ou un formidable éducateur de jeunes en difficulté.

Voilà pourquoi, moi-même, qui ai eu la chance de le connaître comme maître des novices, puis comme responsable de ma formation au sein de la congrégation salésienne, – il m’a accompagné, tant dans le domaine de l’appropriation de mes cours, au contenu parfois bien étrange pour le jeune polytechnicien que j’étais, que dans celui de la relecture de ma pratique d’éducateur spécialisé –   je voudrais témoigner ici de l’apport de l’héritage de Don Bosco dans l’œuvre de Xavier et de l’apport de Xavier dans la poursuite de l’œuvre de Don Bosco.

L’apport de Don Bosco à l’œuvre de Xavier Thévenot

Ce qui a le plus touché tous ceux qu’il a rencontrés et accompagnés, – et ils ont été nombreux -, leur permettant de trouver peu à peu et librement un chemin d’humanisation et de bonheur, c’est sa qualité de présence et d’écoute, qui est la caractéristique première de l’approche salésienne. A ses yeux, comme le disait son provincial, le père Job Inisan : « il s’agissait d’une mission spécifiquement salésienne, à la suite de Don Bosco, dont le visage l’avait séduit dès son jeune âge, et dont il a su ensuite développer avec bonheur la pédagogie et la spiritualité ».

  • La pédagogie de l’enseignant

Ce qui fit le succès de ses cours à l’Institut catholique de Paris, c’est, au-delà de leur contenu passionnant, la pédagogie qu’il mettait en œuvre auprès des étudiants et des auditeurs, et celle-ci s’inspirait de celle déployée par Don Bosco. Le métier de professeur n’est pas un métier de l’ « émission » D’ailleurs, on peut regretter que parfois, pour beaucoup aujourd’hui, la formation se limite à la qualité de l’ « émission ». C’est un métier de la « transmission », ce qui suppose une attention constante portée aux « récepteurs » que sont les élèves, les étudiants, les auditeurs. Cette préoccupation conduisit Xavier Thévenot à constamment illustrer son propos par des exemples « parlants » pour ceux qui l’écoutaient. Il savait également ménager de brèves pauses, pour pouvoir ensuite relancer l’attention.

  • La pédagogie de l’accompagnateur

Il consacra une part importante de son temps et de son énergie à l’accompagnement de personnes en difficultés, sur le plan personnel, familial, social ou spirituel. Et sa manière d’accompagner s’inspirait directement de celle mise en œuvre par St François de Sales et St Jean Bosco.

Ce qui était central pour lui, c’était de ne jamais réduire la personne à son orientation sexuelle, son handicap, ses comportements, ses éventuelles addictions. Jamais il ne parlait d’ homosexuels, mais de personnes ayant une orientation homosexuelle, d’handicapés, mais de personnes porteuses d’un handicap, de jeunes délinquants, mais de jeunes adoptant des comportements délictueux, de toxicomanes, mais de personnes consommant des produits toxiques.

Combien il est important, dans notre société d’aujourd’hui devenue si discriminante, de se rappeler ces fondamentaux de la théologie morale !

L’apport de Xavier Thévenot à la poursuite de l’œuvre de Don Bosco

Jusque dans les années 1960, la transmission de la pédagogie salésienne s’effectuait par capillarité, car nombreux étaient alors les Salésiens et Salésiennes présents dans les œuvres éducatives. Mais voici qu’avec la crise vocationnelle qui démarra au début des années 70, la donne change. Sont embauchés bon nombre de laïcs, qui n’ont jamais rencontré de Salésiens.

Le défi à relever consiste alors à transmettre les grandes lignes de la pédagogie de Don Bosco, dans un langage qui puisse être accessible à nos contemporains, et en alertant sur les risques de dérive que comporterait une imitation, sans aucune prise de recul critique, de l’ensemble de la pratique éducative de notre fondateur. C’est la tâche à laquelle s’attela Xavier Thévenot, fort de ses connaissance en sciences humaines. Et la congrégation salésienne lui en est énormément reconnaissante.

« Sans affection, pas de confiance ; sans confiance, pas d’éducation. » Tel est le slogan avec lequel on a l’habitude d’énoncer le fil rouge de la pédagogie salésienne. Mais sa signification nécessite d’être approfondie et décapée avec l’éclairage des sciences humaines. Et Xavier développa ainsi sa réflexion autour de deux grands axes : une pédagogie de la confiance, une pédagogie de l’alliance.

 

  • Une pédagogie de la confiance

Si on peut fonder le pourvoir sur la menace, on ne peut fonder l’autorité que sur la confiance. Rappelons en effet que si le pouvoir est reçu de l’institution, l’autorité, quant à elle, est conférée par ceux auprès de qui on l’exerce. Deux enseignants de collège ont même pouvoir, même délégation du chef d’établissement pour assurer la discipline du groupe classe ; ils n’ont pas la même autorité.

La confiance est la clef de voûte de l’édifice salésien. Et la première mission de l’éducateur consiste à établir une relation de confiance avec le jeune qu’il accompagne.

Mais confiance ne signifie pas naïveté. Et Xavier Thévenot, fort de l’héritage des théologiens distinguant « foi » et « actes de foi », savait distinguer  « la confiance » (grand principe de Don Bosco) des actes par lesquels l’éducateur manifeste sa confiance, et qui doivent être ajustés en fonction de la connaissance du jeune et de son environnement.

  • Une pédagogie de l’alliance

Ce terme n’a pas été utilisé par Don Bosco ; c’est Xavier Thevenot qui l’introduisit pour commenter sa pédagogie. Pour parler de la relation adulte/jeune, Jean Bosco en effet utilisait celui « d’amorevolezza ». La traduction française par le mot « affection » est réductrice. Car dans le terme utilisé par Don Bosco se combinent le registre de l’affection (amore) et celui de la raison (volezza). Il s’agit d’une affection raisonnée, guidée par une intentionnalité éducative. « L’important n’est pas que l’enfant soit aimé, mais qu’il se sache aimé », aimait dire Don Bosco.

En utilisant le terme d’alliance, Xavier Thévenot nous invite à conjuguer « amour » et « loi ». Comme il ne cessait de le rappeler, il n’y a pas de véritable amour sans loi (la loi, en imposant le respect de l’altérité, permet d’éviter la dérive fusionnelle) et il n’y a pas de loi sans amour (la loi est faite pour l’homme et non pas l’homme pour la loi).

  • Une spiritualité de l’éducation

Et puisqu’il s’agit d’accueillir Christ en accueillant l’enfant (« Celui qui accueille un enfant en mon nom, c’est Moi qu’il accueille » (Marc 9, 37), Xavier va jusqu’à parler de la dimension sacramentelle de la relation éducative. Je le cite : « C’est au cœur de la relation éducative, quand elle se veut pleinement humanisante, que Dieu fait sentir sa présence active à l’éducateur. L’acte éducatif, pour un chrétien, n’est pas un « à côté » de la vie spirituelle (…), mais plutôt le constitutif essentiel de l’accueil du Christ ressuscité que l’éducateur cherche à vivre. » *

 

Et je terminerai, pour conclure, en insistant sur deux caractéristiques importantes de la vie salésienne de Xavier :

Son attachement à la lecture de la Parole de Dieu, qui nourrissait tant sa prière que ses travaux. Et il ne cessait de relier cette lecture aux expériences humaines.

Son attachement aux frères de sa communauté. Et ce qui était merveilleux chez Xavier, alors que la souffrance conduit bien souvent la personne au repli sur soi, c’est que, jusqu’au terme de sa vie, malgré les souffrances générées par sa maladie, – je l’ai expérimenté moi-même au cours de toutes nos rencontres bimensuelles – il ne cessait de manifester sa volonté de toujours rejoindre son interlocuteur dans le champ de ses préoccupations.

Père Jean-Marie Petitclerc
Salésien de Don Bosco

* Xavier THÉVENOT, Repères éthiques pour un monde nouveau, Salvator 1982, Paris, p.137

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