A l’heure des JMJ, le Brésil, un grand pays contrasté
5 juillet 2013
Le Brésil est à l’honneur : il accueille les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) et bientôt la coupe du monde de football. Aujourd’hui des millions de jeunes convergent vers Rio. Viviani Catroli, chercheure brésilienne, vivant actuellement en France, nous présente ce pays aux mille couleurs et aux mille contrastes.
DBA : Qui sont les jeunes brésiliens ?
Viviani Catroli : Le Brésil est composé de 34 millions de jeunes de 15 à 24 ans ; 2 millions sont au chômage avec 70 % d’entre eux qui n’ont aucune formation professionnelle. Malgré tout, les jeunes brésiliens ne se laissent pas abattre. Ils croient en un avenir meilleur et n’ont pas peur des adversités même si le changement de la société est très difficile et que le système inégalitaire les écrase jour après jour. Ils sont très attachés à leur famille et très respectueux de la transmission du savoir à l’école mais aussi avec les parents et grands-parents.
DBA : Quelles sont les forces et les talents de la jeunesse brésilienne ?
VC : Comme tous les jeunes, ils ont de l’énergie. Les jeunes défavorisés, à la campagne, dans les lieux reculés, les bidonvilles, restent très actifs et imaginatifs. Ils sont bien informés des nombreux projets prévus pour leur émancipation par les autorités et associations locales et par le gouvernement. Il existe de nombreux cours du soir, des programmes de sensibilisation ou des projets pour devenir entrepreneur par exemple. Au Brésil, 25% des entrepreneurs ont moins de 24 ans. L’économie solidaire est très bien structurée et très active. Vous pouvez aller au fin fond de l’Amazonie, loin de tout, dans des quartiers très pauvres, il y aura toujours des jeunes sensibilisés aux problèmes auxquels le pays est confronté et qui agissent pour l’améliorer.
DBA : La question du métissage reste-t-elle d’actualité ?
VC : Le livre de Gilberto Freire, anthropologue, « Maitres et esclaves » décrit très bien le métissage de la société brésilienne. L’auteur considère que la formation brésilienne a été « un processus d’équilibrage entre des antagonismes. Antagonismes de civilisations et d’économies. La civilisation européenne et indigène. L’européenne et l’africaine. L’africaine et l’indigène. L’économie agricole et la pastorale. L’économie des champs et celle des mines. La catholique et l’hérétique. Le jésuite et le grand propriétaire. […] Le bachelier et l’analphabète. Mais les dominant tous, plus général et plus profond encore : l’antagonisme du seigneur et de l’esclave. ». Malheureusement, tout cet univers d’une « complexité inégale » fait encore partie de la réalité brésilienne d’aujourd’hui.
DBA : Quelle est la place réelle de la foi ?
VC : L’Amérique Latine est presque « naturellement » chrétienne. Il existe, toutefois, un métissage religieux, un syncrétisme, apporté par le croisement des cultures indigènes, européennes et africaines. Et cela est très important : une société métisse doit avoir une religiosité métissée afin de ne pas contribuer à l’exclusion de certaines communautés. Nous avons l’habitude de dire que Dieu est brésilien. Apres l’arrivée du nouveau Pape, la phrase a changé et nous disons maintenant que si les Argentins ont le Pape, nous avons Dieu !
DBA : Que peuvent apporter des évènements mondiaux comme les JMJ ou la coupe du monde de football en 2014 ?
VC : Cette question est très délicate. La ville de Rio et ses habitants souffrent énormément de la spéculation immobilière et de la privatisation des espaces publics. Depuis quelques années, le coût de la vie à Rio a triplé. Les habitants des bidonvilles sont déplacés pour que les favelas se transforment en espaces touristiques ou deviennent de grands projets immobiliers. Le Maracaña, le temple du foot et du peuple, a été privatisé ! La ville n’a toujours pas de service de transport collectif de qualité. La corruption a toujours été très forte au Brésil et maintenant, comme il y a davantage d’argent, elle est devenue épidémique.
Avec les JMJ, nous avons face à nous, l’un des grands défis auquel est confrontée l’Eglise Catholique. L’Eglise brésilienne s’est toujours engagée de façon très importante dans la société au niveau social et a toujours été proche des pauvres. Malheureusement, elle s’est un peu éloignée de cette mission pour se concentrer sur la dimension spirituelle. Dans le même temps, les églises évangéliques protestantes ont investi l’espace. Ces églises contrôlent aujourd’hui les grands moyens de communication comme la télé mais aussi la sphère politique. Des pasteurs siègent au parlement brésilien. Cette situation préoccupe énormément car ces églises propagent des idées plutôt intégristes et ségrégationnistes qui peuvent faire reculer la société brésilienne. La nomination du Pape François va dans le bon sens. Avec une église catholique engagée pour le progrès social et la démocratie, le Brésil peut redevenir ce pays où la foi incarne un message d’espoir pour tous. Comme disait Frei Betto, moine dominicain brésilien, théologien de la libération, écrivain, militant politique, dans les années 70 : « Qui s’éloigne du peuple ne peut plus écouter Dieu ».
Propos recueillis par Karine GOLD-DALG
18 juillet 2013
Pour aller plus loin
Une délégation du Mouvement Salésien des Jeunes (MSJ) est à Rio pour les JMJ. Un article à lire. Prêts à partir pour les JMJ à Rio !