P. Jean-François Meurs et l’encyclique Fratelli Tutti : « dans la pensée du pape, les trois piliers de la pédagogie de Don Bosco »
22 novembre 2020
Dans son encyclique Fratelli Tutti, inspiré par le « poverello » d’Assise, le pape François écrit le rêve de fraternité universelle et d’amitié sociale qu’il porte en lui depuis toujours. Il le fait en communion avec le grand imam Ahmad Al-Tayyeb, et en référence à la rencontre interreligieuse sur la fraternité humaine d’Abu Dhabi, de février 2019. Le père Jean-François Meurs, salésien de Don Bosco, éducateur, a lu ce splendide texte sur la fraternité, dans lequel transparait aussi l’influence de saint Jean Bosco.
« Personne ne se sauve tout seul, on ne peut se sauver qu’avec les autres. » Cette affirmation est présente d’un bout à l’autre de l’encyclique, dans les développements de chacun des grands sujets abordés… « Une personne et un peuple ne sont féconds que s’ils savent de manière créative s’ouvrir aux autres » (41). La fraternité universelle n’est pas une option parmi d’autres : c’est la seule qui permet d’éviter la catastrophe totale et de garantir un avenir à l’humanité.
Le pape, en effet, fait un constat douloureux concernant les ombres d’un monde fermé qui fabrique des consciences vides, des individus déracinés, méfiants de tout et de tous, à la merci des appétits mercantiles. Un monde cynique qui cherche à disqualifier l’autre, et qui a besoin, pour assurer son pouvoir, « de jeunes qui méprisent l’histoire, qui rejettent la richesse spirituelle et humaine qui a été transmise au cours des générations » (13), de jeunes qui se moquent des valeurs. Une société qui s’amuse à détruire l’âme pour mieux asseoir le dogme économique et qui pour cela isole les personnes afin d’en faire des consommateurs soumis. Le pape ne cessera donc, tout au long de son exposé, d’insister sur la dignité inaliénable de chacun. Ce qui signifie : se libérer de la virtualité qui nous fait perdre le goût et la saveur des contacts réels, charnels, mettre un terme à l’esclavage sous toutes ses formes, respecter les cultures et les faire dialoguer, donner une place et des responsabilités à chacun, favoriser le développement intégral. Il appelle à construire une politique charitable fondée sur le long terme et la protection du plus fragile. L’espérance se trouve dans la réactivité de chacun, et surtout dans l’action collective en faveur des plus faibles que l’on sacrifie.
A travers un long commentaire de la parabole du samaritain, il nous fait comprendre que nous incarnons tous les personnages : l’homme blessé, celui qui ne veut pas trouver le temps de s’arrêter pour un appel urgent, celui qui sait se faire proche ; nous ne sommes pas seuls, nous disposons d’institutions, comme l’auberge, qui peuvent relayer notre action.
Il ne nous est pas difficile de reconnaître, dans la pensée du pape, les trois piliers de la pédagogie de Don Bosco. L’affection d’abord : François ne cesse d’insister sur la tendresse, faite de contacts réels, pas seulement entre les personnes, mais une tendresse entre les cultures et les nations invitées à devenir une famille. Il ne s’agit pas d’émotivité ou de sentimentalisme, mais d’une charité sensible guidée par la vérité. La raison ensuite quand il appelle à la recherche de la vérité dans le dialogue social entre les cultures et entre les peuples : « Outillons nos enfants des armes du dialogue ! Enseignons-leur la rencontre ! » La religion enfin, car la pleine fraternité n’est solide et stable que par l’ouverture au Père de tous.
François ose nous confier son rêve d’un amour universel, d’une charité personnelle et sociale, d’une politique au service des plus fragiles et du bien commun, d’une ouverture à l’étranger migrant, du pardon accordé entre frères et entre communautés ; rêve d’une humanité différente refusant toute guerre – parce que la guerre n’apporte jamais la paix et crée de nouvelles injustices -, rêve du renoncement à la peine de mort, d’une réforme de l’ONU … Il est bien conscient qu’on pourrait le traiter de naïf, de rêveur utopique perdu dans ses fantasmes. A plusieurs reprises il fait comprendre que c’est au contraire le plus grand réalisme, car le seul choix raisonnable. Mais c’est un défi. On peut, dit-il, aspirer à une planète qui assure terre, toit et travail à tous.
Ce défi, chaque génération est appelée à le relever, car chaque génération doit faire siens les luttes et les acquis des générations passées. Le bien, l’amour, la justice et la solidarité, le respect de la dignité de chacun, la protection de la vie ne s’obtiennent pas une fois pour toutes : il faut les conquérir chaque jour.
C’est pour cela, et pour initier de nouvelles pistes et attitudes, que l’éducation intervient. La famille est en première ligne, incontournable pour transmettre les valeurs de la fraternité, du partage, du soin aux autres, de la foi. Les éducateurs et les formateurs dans les écoles et les différents centres de socialisation juvénile inculquent les dimensions morales, sociales et spirituelles qui sont les chemins de l’avenir. L’école sème aujourd’hui et espère des fruits qui seront recueillis par d’autres demain. Les agents culturels et les moyens de communication sociale ont aussi une responsabilité toujours plus grande, car l’accès aux instruments d’information et de communication est toujours plus répandu.
Le pape nous touche encore salésiennement quand il décrit notre monde comme bâti et fondé sur la méfiance et la peur. Don Bosco avait compris que la vraie relation pédagogique bannissait la peur, s’établissait sur la confiance et s’épanouissait en joie. A son tour, François souligne qu’une attitude de bienveillance est indispensable pour être constructif. « L’attention pour ne pas blesser par des paroles ou des gestes, l’effort d’alléger le poids aux autres. Cela implique qu’on dise des mots d’encouragement qui réconfortent, qui fortifient, qui consolent, qui stimulent, au lieu de paroles qui humilient, qui attristent, qui irritent, qui dénigrent. » Tout cela fait partie de « l’amorevolezza » mise en œuvre par Don Bosco.
La fraternité sociale est difficile à construire, car elle part toujours des plus fragiles, des exclus, mais elle est possible : elle est artisanale, dit le pape. Chacun peut donc donner selon ses talents. Il faut que quelques-uns commencent. Don Bosco s’y est mis, il a fait le brouillon, confiant que d’autres mettraient les couleurs.
Jean-François MEURS