Jeunes, foi, coronavirus, pauvretés, engagement, avenir de la congrégation : les mots forts du 10e successeur de Don Bosco
15 décembre 2020
Le Recteur Majeur, le P. Ángel Fernández Artime, 10e successeur de saint Jean Bosco, a accordé, en ce mois de décembre, un long entretien au quotidien espagnol El Correo de Andalucía. Pandémie, missions, engagement salésien en faveur des pauvres, engagement des jeunes, avenir de la congrégation, il aborde de multiples questions d’actualité. Et délivre plusieurs messages, notamment celui-ci : « Ce sont des temps difficiles, mais pleins d’espoir. »
Comment la congrégation salésienne s’est-elle adaptée à cette période pandémique ?
Je pense qu’il est juste de dire que nous nous sommes adaptés comme tout le monde, c’est-à-dire, comme nous le pouvions, en suivant les directives des autorités civiles et en même temps en imaginant, avec créativité, ce que nous pouvions faire pour faire avancer la mission salésienne partout dans le monde. Je dois dire que je suis très surpris de la créativité éducative et pastorale que j’ai vu se développer autour de moi et dans les différents continents du « monde salésien. » Il y a eu une pluie d’initiatives de toutes sortes pour que nous puissions nous rendre présents de mille manières.
Quelles initiatives les Salésiens entreprennent-ils pour lutter contre les conséquences de ce virus ?
Un premier front que nous avons traité, et nous voulons continuer à le faire, est de garantir que les activités, les actions éducatives et les divers services sociaux, pastoraux et d’accompagnement se poursuivent (de quelque manière et sous toutes les formes possibles). Il a été très courant de trouver en nos présences de nombreux groupes de jeunes prêts à tout moment à distribuer de la nourriture, à approcher les familles les plus nécessiteuses, à offrir des cours en ligne à ceux qui ne pouvaient pas suivre les leçons. Nous avons distribué des aides dans 63 pays, grâce à la générosité manifestée par des milliers de personnes en faveur de la campagne covid-19 que nous avons lancée. Publiquement, par visioconférence, j’ai fait connaître les destinations et les projets de cette aide reçue.
Quel est le rôle des Missions Salésiennes en ce moment ?
En tant que Salésiens de Don Bosco dans le monde, nous sommes fortement engagés à atteindre les vraies périphéries, les endroits où les gens ne veulent généralement pas aller. Je sais très bien que nous ne sommes pas les seuls dans l’Église, bien sûr. Mais je peux témoigner que nous, les Fils de Don Bosco, nous voulons le faire et nous le faisons. En ce sens, le chemin parcouru par la Congrégation dans ces 134 pays est en totale harmonie avec ce que Don Bosco voulait et avec son rêve. Bien sûr, je ne dis pas que nous faisons tout correctement, mais c’est le chemin que nous suivons. À côté de nous, il y a beaucoup de laïcs, des hommes et des femmes, avec lesquels nous partageons cette mission éducative et évangélisatrice, sociale et d’humanisation. C’est quelque chose de magnifique, avec les nombreux jeunes qui vivent une activité bénévole sociale ou missionnaire. Ce sont donc des temps difficiles, mais pleins d’espoir.
Si Don Bosco vivait à notre époque, quel serait son rêve, à votre avis ?
Sans aucun doute, son grand rêve aurait été de voir les jeunes heureux, aujourd’hui et dans l’éternité, comme il le disait toujours à ses garçons. Le rêve de ne plus voir aucun garçon, fille ou jeune sans quelqu’un qui l’accueille en ami, en éducateur, en père ou en mère. Évidemment, son rêve continue d’être de les préparer à la vie et de leur offrir un sens transcendant qui, s’ils l’acceptent librement, est finalement Dieu, car Don Bosco a toujours voulu rapprocher ses enfants de la rencontre avec Dieu. Son rêve n’a pas changé, c’est le même qu’il avait il y a 162 ans, et il restera le même tant qu’il y aura des jeunes dans l’humanité et tant qu’il y aura des abandonnés, des exclus et des pauvres.
Lequel des rêves de Don Bosco vous a le plus marqué ?
Plus que de choisir un rêve, parmi les nombreux qu’il a eu, je préfère dire que ce qui m’a toujours ému et continue de m’émouvoir aujourd’hui à propos de Don Bosco, c’est sans aucun doute sa passion éducative pour les jeunes ; sa conviction radicale de se dire chaque jour « pour vous j’étudie, pour vous je travaille, pour vous je vis, pour vous je suis disposé à donner jusqu’à ma vie. » Ce sont des mots qui, lorsque vous les faites vôtres dans votre dévouement quotidien aux jeunes, vous remplissent de force et de joie.
Qu’avez-vous ressenti le jour de votre élection en tant que Recteur Majeur ?
J’ai senti que c’était quelque chose de plus grand que moi, que ça ne devait pas être moi, que beaucoup d’autres Salésiens présents au 27e chapitre général pouvaient offrir ce service avec beaucoup plus de capacités. Je n’aurais jamais imaginé que cela pourrait arriver, je ne m’y attendais pas du tout. Pourtant, une fois qu’il était plus qu’évident que l’élection de mes frères salésiens reposait sur moi, ce 25 mars 2014, dans un moment de prière simple, vraiment croyante et confiante, je me suis « abandonné » à tout ce qui pourrait être. Et je peux vous assurer que j’ai été inondé d’une grande paix, qui m’accompagne jusqu’à aujourd’hui. Je dois avouer qu’aujourd’hui encore, je continue à demander au Seigneur dans la prière personnelle pourquoi, par la médiation de mes frères salésiens au Chapitre, son « regard » est tombé sur moi. Et je laisse cette question là. Dans un silence confiant.
Où pensez-vous que l’avenir de l’Église soit ?
À mon humble avis, je dois dire que l’avenir de l’Église est en Dieu, en vivant authentiquement l’Évangile de Jésus-Christ. C’est dans une Église des pauvres et pour les pauvres. L’avenir de l’Église est loin de toutes les tentations du pouvoir. L’avenir de l’Église passe par l’anonymat de beaucoup de laïcs, de consacrés et de prêtres qui continuent à donner leur vie dans la simplicité, chaque jour. Sans aucun doute, l’avenir de l’Église est de continuer à respecter pleinement la dignité de la femme. Bref, ce sont des choses que nous savons déjà, même si parfois, et pas rarement, elles sont gênantes pour de nombreuses oreilles qui les écoutent. Je ne peux manquer de dire et de reconnaître que le Pape François ne fait que nous inviter à vivre l’Évangile avec la cohérence propre aux croyants touchés par la conversion à Jésus-Christ. Et combien de fois c’est gênant, parce qu’il est simplement un Berger selon le regard de Dieu.
Quel devrait être le rôle des jeunes dans l’évangélisation ?
Je vais le dire en faisant appel à Don Bosco, celui qui a fondé une congrégation avec ces mêmes jeunes qu’il aidait à grandir. Le moment venu, il a proposé que chacun fasse la même chose ensemble, pour « sa propre salut et le bien de leurs compagnons». En bref, il a proposé qu’ils soient d’authentiques évangélisateurs et apôtres pour les autres garçons. Personnellement, je crois fermement en la force des jeunes en toutes choses. Et j’aimerais que nous ayons plus de confiance en ce qu’ils peuvent faire au nom de Jésus.
Pensez-vous que la Congrégation est en danger à cause du déclin des vocations ?
Honnêtement, non. Il est vrai que je parle et ne dois parler que de la réalité que je connais ; des 14 500 Salésiens de Don Bosco présents dans 134 pays, appartenant à 90 provinces et vice-provinces. Notre congrégation salésienne est bénie chaque année avec environ 450 novices dans le monde. C’est un grand don. En même temps, je dois dire que la réalité vocationnelle en Europe est également très pauvre pour nous. Mais la vie de la congrégation ne se mesure pas sur la base du nombre, mais sur la base de la fidélité des Salésiens de Don Bosco au charisme reçu de notre fondateur, saint Jean Bosco. Tant que la congrégation est fidèle à ce charisme, avec une prédilection pour les garçons et les filles les plus pauvres et les plus nécessiteux, pour les derniers, pour les plus humbles, et cela au nom de Jésus, la congrégation n’est pas en danger. L’organisation, la couleur de la peau, les zones géographiques peuvent changer… Mais le charisme sera assuré. En d’autres termes, l’avenir de la congrégation et la fidélité au charisme vont de pair.
Comment devrait être le Salésien d’aujourd’hui ?
Je dois vous dire que c’était le thème du 28e Chapitre Général tenu à Turin-Valdocco au cours des mois de février et mars 2020. Et la réponse est : un Salésien qui est un homme de foi, heureux de sa vie et de sa vocation, capable d’écouter, de dialoguer et d’aller à la rencontre des jeunes d’aujourd’hui. Un Salésien qui construit des ponts, qui sait accompagner les processus de croissance des jeunes. Un éducateur dans la foi qui rend disponible, en toute liberté, ce qui nous remplit de sens. En fin de compte, des personnes qui veulent offrir et partager ce qu’elles sont et ce qui nous constitue en tant que consacrés et croyants.
En tant que recteur majeur, qu’attendez-vous de la congrégation dans les années à venir ?
J’espère que nous serons tout ce que je viens de dire et qu’à la fin des six prochaines années, si Dieu me donne la santé, je pourrai dire quelque chose comme ceci à Don Bosco : « Cher Don Bosco, c’est la congrégation que je vous présente après douze ans. Nous avons fait le mieux que nous avons su et pu faire, au nom de Jésus et pour le bien des jeunes. J’espère que vous pourrez vous y reconnaître. Si tel est le cas, cela en aura valu la peine. »
En conclusion, quel message aimeriez-vous adresser à la Famille Salésienne d’Espagne ?
C’est avec grand plaisir que je souhaite leur dédier un double message. En m’adressant à beaucoup de gens qui pourront me lire et qui n’ont rien à voir avec la Famille Salésienne en Espagne ou en Andalousie, mais qui regardent avec sympathie la figure de Don Bosco, ou du moins avec curiosité : je leur dis de continuer à croire qu’il y a de bonnes personnes dans le monde, beaucoup de bonnes personnes, comme ils le sont certainement aussi, et comme nous les Salésiens de Don Bosco essayons d’être, malgré toutes nos limites ; et je les invite à se joindre aux nombreuses personnes qui transmettent l’espoir et non la négativité. Parce que le monde devient plus vivable avec des gens comme ça.
Et à la Famille Salésienne d’Espagne et d’Andalousie, je dis que je suis très fier de cette famille religieuse que nous sommes : simple, mais avec fraîcheur ; amie des gens et désireuse de faire le bien. Une famille de Don Bosco qui croit aux jeunes et, je vous le demande, continue de croire en ces mêmes jeunes, ceux en chair et en os que vous voyez tous les jours. Je vous dis de dire aux gens qu’il y a des raisons d’espérer et qu’ensemble, en nous unissant, nous pouvons continuer à faire quelque chose de bien. Je vous dis que Don Bosco a rêvé de nous et il nous a fondés non pas pour nous concentrer sur nous-mêmes, mais pour être une famille aux portes ouvertes, pour que les gens puissent dire que là où il y a ceux « de Don Bosco, » il y a de bonnes personnes que, si elles ne peuvent pas vous aider à chaque instant et en tout, au moins elles vous accueillent, vous écoutent et vous accompagnent.
Et je leur dirais que notre force réside dans le fait d’être une famille, d’être pour les autres et d’être ce que nous sommes au nom du Seigneur. Et enfin, j’ajouterais autre chose : que nous continuons à croire, comme Don Bosco que la Mère « a tout fait, » et elle continue de tout faire même aujourd’hui. Bon et saint Noël à tous.