Jijé, auteur de Bandes Dessinées, a 100 ans
23 juin 2014
Jijé, alias Joseph Gillain, auteur de la bande dessinée « Don Bosco » est né le 13 janvier 1914, il y a cent ans. C’est le dessinateur incontournable de l’histoire de la bande dessinée. Sans lui, la BD européenne ne serait pas devenue ce qu’elle est.
Par son inventivité foisonnante, il a ouvert de nouvelles voies à ce « genre littéraire » souvent accusé, à son époque, de crétiniser la jeunesse. Pas seulement en formant une série de jeunes dessinateurs, et en les imprégnant de sa forte et généreuse personnalité, – ces auteurs devenus fameux le reconnaissent -, mais encore en fournissant des pistes à d’autres qui ne se réclament pas de lui.
Il est né à Gedinne, petit village d’Ardenne belge, non loin de Givet, dans une famille nombreuse et chrétienne, qui donnera deux prêtres et deux religieuses. Le papa, Eugène Gillain, est profondément inculturé dans son terroir. Il fonde les Cahiers Wallons, qui publient des textes dans cette langue savoureuse. Comme les gens de son pays, Jijé était un homme chaleureux, truculent, ayant le goût de la farce, les pieds dans le concret et la tête pleine de rêves. Il disait ce qu’il pensait, il était vrai.
Il entre à l’école d’arts de l’abbaye de Maredsous, pour y suivre trois années d’études artistiques. A dix-sept ans, le peintre Léo Van den Houten, lui apprend à dessiner sans regarder le papier, méthode qu’il apprendra à son tour à tous les auteurs de BD qui feront leur formation avec lui.
Auteur « caméléon »
Il fait ses premiers essais en Bande Dessinée dans des journaux confessionnels : Jojo, pour La Semaine du Croisé (1935-39) ; Blondin & Cirage pour la revue Petits belges éditée par les Prémontrés d’Averbode (1939-42) et diffusée parmi les enfants de chœur. En 1939, il entre aux éditions Dupuis de Marcinelle. Il crée pour Spirou, magazine né en 1938, Trinet et Trinette dans l’Himalaya (1939-41). Auteur « caméléon », il termine des séries comme Superman ou RedRyder. Il reprend les aventures de Spirou et Spip lorsque Robert Velter est indisponible. Sur les conseils de Jean Doisy, rédacteur en chef du magazine, il crée le personnage loufoque de Fantasio, contre-pied comique à un Spirou trop exemplaire.
Avec Valhardi, le détective Jijé faisait ses premiers pas dans le style réaliste. Jean Valhardi est un de ces héros beaux et cascadeurs, qui ne connaissent pas la peur, imprégné de l’esprit scout. Il est accompagné d’un jeune garçon entreprenant et débrouillard, Jacquot, dans lequel le jeune lecteur peut davantage se reconnaître. Ce tandem préfigure Guy Lefranc, reporter, flanqué de Jeanjean, dans des aventures créées par Jacques Martin en 1952.
Sa première biographie : Don Bosco
En 1941, à la demande de Jean Dupuis qui avait beaucoup d’admiration pour le « saint des jeunes », – Dupuis avait une ligne éditoriale qui se voulait éducative de la jeunesse -, Jijé travaille à sa première grande biographie, Don Bosco Ami des jeunes. Un album sépia au format à l’italienne paraîtra en 1942. Peu satisfait de son œuvre, Jijé redessinera l’album de bout en bout après avoir visité les lieux (1949). La comparaison des deux versions permet de voir les énormes progrès dans l’appropriation du métier. Il campe un saint viril, actif, joyeux qui plait à un large lectorat.
« Il campe un saint viril, actif, joyeux qui plait à un large lectorat »
Après Don Bosco, qui est son œuvre majeure, il poursuivra cette veine avec le monumental Christophe Colomb (1942-45), Baden Powell (1950), Blanc Casque (1953), Charles de Foucauld (1959), Bernadette Soubirous (1979). L’histoire de Blanc Casque inspirée d’une histoire vraie écrite par l’abbé Jules Pirot est passée injustement inaperçue : à cette époque, le goût était à un Far West manichéen qui opposait les affreux bandits et les héros conquérants.
Déjà pendant la guerre, Jijé fait la formation artistique de Willy Maltaite, le futur Will de « Tif et Tondu ». A la libération, il devient le conseiller des Dupuis et le catalyseur d’une équipe de jeunes dessinateurs talentueux qui formeront ce qu’on a appelé l’école de Marcinelle par opposition à l’école de Bruxelles, les auteurs de chez Tintin (lancé en 1946) : André Franquin, Morris, Eddy Paape, Victor Hubinon ; et plus tard Jean Giraud, Derib et Cosey, Hermann, Mouminoux, Roba et Culliford, qui nous ont enchantés avec de vrais bijoux de BD. Beaucoup étaient bourrés de talent, certes, mais, de leur aveu, ils ne seraient jamais devenus ce qu’ils sont sans lui.
Un goût pour l’Ouest
Jijé ne vit pas seulement l’esprit d’aventure dans les histoires qu’il invente : il entre lui-même dans une aventure rocambolesque lorsqu’en 1948, il décide de quitter l’Europe pour s’installer aux Etats-Unis. Un épisode mythique, qui deviendra fiction dans Gringos locos publié en 2012 par Yann et Schwartz. Avec sa famille, et accompagné de Franquin et Morris, il sillonnera le pays d’Est en Ouest, dans une vieille Ford Hudson ; puis, voyant son visa expirer, il se réfugie pour quelques mois au Mexique. Il ramènera dans ses bagages de formidables paysages et un goût pour ce peuple chaleureux. Son album le plus tendre dans la série Blondin et Cirage se passe au Mexique avec un de ses personnages plus sympathiques, Conchita (1952).
En 1954, il entame, sa série la plus réussie et la plus symptomatique de son ouverture d’esprit, Jerry Spring, un Western qui anticipe le mouvement de réhabilitation des indiens et des mexicains dont il prend la défense et la fin des Cow-boys sûrs d’eux-mêmes, infaillibles. Il s’affranchit des codes rigides des Western à la John Wayne, lequel fait d’ailleurs place à l’ambigu Clint Eastwood, voire au fantaisiste « Personne » de Sergio Leone. Accompagné de son fidèle comparse mexicain, Pancho, Jerry combat les préjugés racistes, montre que la générosité et l’ouverture du cœur paient davantage que la répression et la vengeance. Une de ses aventures l’amène à défendre les noirs et à combattre le Ku Klux Klan à une époque (1966) où l’Europe vient d’entendre le « Dream » de Martin Luther King (1963). Jerry Spring a directement inspiré les personnages de Blueberry né sous le crayon de Gir (Giraud) dans Pilote, et celui de Buddy Longway, héros de Derib, qui hérite de la passion de Jijé pour la culture indienne. Jijé y est au sommet de son art, maître du mouvement, dans des pages dynamiques, flamboyantes.
Auteur doué, Jijé ne s’est jamais pris la tête. A travers toutes ses histoires et ses dessins, il avait envie tout simplement de faire du bien, le plus important était de donner du bonheur aux jeunes lecteurs. Il a été remarquablement secondé, j’aime le dire, par son épouse Annie, qui a cru en lui et qui a fait preuve de grande patience et tolérance pour accueillir chez elle cette bande de fous qui révolutionnait le 9e art.
Jean Françoise Meurs,sdb
17 juillet 2014