Les éditions Dupuis rééditent la mythique bande dessinée « Don Bosco, Ami des jeunes » : retour sur le « miracle de Marcinelle »
17 avril 2022
La famille Dupuis et Don Bosco, c’est une longue histoire d’amour. Ils avaient de l’admiration pour le prêtre charismatique, et tous étaient membres actifs de l’Association des Salésiens Coopérateurs, bienfaiteurs des œuvres. Don Bosco le leur a bien rendu avec le fabuleux album qui créa le « miracle » et qui vient d’être réédité en février 2022.
Les éditions Dupuis de Marcinelle ont réédité le mythique « Don Bosco, Ami des jeunes », dessiné par Jijé, paru en 1943, en pleine guerre. Il s’agit du fac-similé de la première mouture de l’album noir et blanc, au format à l’italienne, et non de l’album en couleurs, paru en 1949, version retravaillée par l’auteur, qui a connu un énorme succès – tout à fait mérité – pendant de nombreuses années. Ces albums, largement diffusés en Belgique, ont popularisé la figure de Don Bosco, qui a ainsi donné son nom à un grand nombre de patronages paroissiaux.
L’édition de bandes dessinées était une nouveauté pour l’entreprise. Le fondateur, Jean Dupuis, avait créé son imprimerie à Marcinelle, près de Charleroi en 1898. En 1922, il était devenu éditeur de revues (Les Bonnes Soirées, Le Moustique) et de romans classiques. « Don Bosco, Ami des jeunes » fut l’un des tout premiers albums de bandes dessinées de la maison, et en même temps une des premières vraies BD biographiques, ouvrant la voie au genre en bande dessinée.
Spirou, l’ami des jeunes
Dans la Belgique occupée par les Allemands, la figure de Don Bosco, sorte de « résistant » à l’oppression subie par les jeunes exploités et rejetés, venait remonter le moral des jeunes lecteurs en apportant de la joie et de la force de caractère. Jean Doisy, rédacteur en chef du magazine Spirou, avait créé le club des « Amis de Spirou », qui comptait de nombreux adhérents. Don Bosco « Ami des jeunes » s’inscrivait dans la ligne des « Amis de Spirou » qui se voulait éducatif, porteur des valeurs chrétiennes et d’idéal moral. « Spirou » est le nom wallon de l’écureuil, vif et adroit, et le surnom affectif par lequel on désigne un joyeux espiègle. Le Don Bosco de l’histoire n’était-il pas cet enfant vif et adroit qui apporte de la joie dans la vie des jeunes et encourage l’engagement ?
Les planches de « comics » avec superhéros américains ne traversaient plus les océans, interdits par la censure allemande, laissant des pages à remplir. Non seulement Don Bosco prendra leur place, mais la première planche est précédée d’une présentation où le prêtre des voyous de Turin apparaît comme un superman en soutane, doté de pouvoirs surnaturels : il convertit les caïds, il rend la vue à un aveugle, il fait marcher des paralytiques. Mais son vrai titre de noblesse, c’est « Ami des jeunes », ami des faibles et des opprimés, fidèle à Dieu et à son pays. Il incarne le code d’honneur des « Amis de Spirou ».
Don Bosco, le « paratonnerre » des Dupuis
Mais pourquoi Don Bosco ? Les personnages édifiants ne manquaient pas, moins marqués « catho », plus consensuels ?
Jean Dupuis, le fondateur, a la foi du charbonnier. Il est adepte d’un christianisme social teinté de paternalisme comme les chefs d’entreprise de l’époque le pratiquaient. Il entretient en particulier des relations étroites avec les salésiens. Les Dupuis étaient « coopérateurs », ce qui veut dire qu’ils appartenaient à ce qu’on peut appeler un tiers-ordre fondé par Don Bosco. Les membres, laïcs, veillaient à se ressourcer à la spiritualité salésienne, y faisaient promesse de s’occuper des jeunes pauvres et abandonnés.
En fait, la biographie de Don Bosco est une idée de René Matthews, gendre de Jean Dupuis, époux de Marie-Louise Dupuis. Originaire des Pays-Bas, converti venu du protestantisme, il est très attaché au catholicisme. Il deviendra le responsable de la branche des éditions en langue néerlandaise, notamment de « Robbedoes », version flamande de « Spirou », et qui veut dire « espiègle ».
Circonstance particulière, en janvier 1941, c’est par l’intermédiaire d’un salésien allemand que René Matthews parvient à faire libérer son beau-frère Paul, détenu dans un stalag en Allemagne.
Editer un album BD était une aventure incertaine. Prudemment, le premier tirage fait 10 000 exemplaires en français et 5 000 en néerlandais. Miracle, l’album sera réimprimé à plusieurs reprises en 1944 et 1945, atteignant environ 125 000 exemplaires ! Un best-seller, premier d’une longue série. Lors du conseil d’administration du 23 février 1947, les membres de la famille votent à l’unanimité le versement aux œuvres de Don Bosco de 2 % des bénéfices sur l’album : le document porte les signatures de Jean, le fondateur, de son épouse Dahlia, de leurs fils Charles et Paul, de leur fille Marie-Louise avec son mari René Matthews. On place un buste de Don Bosco dans la grande salle des rotatives. Des décisions se prenaient après un passage devant ce buste. Jijé dira que Don Bosco était « une sorte de paratonnerre » pour la famille Dupuis.
Un christianisme social
Une des raisons de cette édition de l’album tient aux circonstances de la guerre : le ralentissement de l’activité économique – à cause, par exemple à la pénurie de papier et d’encre – fait des ouvriers de Marcinelle des proies pour le travail obligatoire en Allemagne. D’autant plus que les éditions Dupuis refusent de se soumettre au contrôle d’un administrateur de la Propaganda-Arbeitung, d’où la suspension de la parution du « Journal de Spirou » à partir de septembre 1943. Il faut occuper les ouvriers à de nouvelles tâches pour leur éviter d’être réquisitionnés. Dans ce bras de fer larvé avec les Allemands, les diverses rééditions joueront un rôle important. Autre chose : à certaines occasions, comme Noël, Dupuis distribue des primes, en étant attentif à la situation de chacun de ses ouvriers.
Le généreux Jijé
Joseph Gillain est un grand travailleur. Il se démènera comme quatre pour assurer la reprise de la série Spirou, personnage créé par Rob-Vel. Les planches n’arrivent plus de Paris. Pendant le temps de la guerre, Jijé dessinera 672 planches !
Sa source pour Don Bosco est les écrits du père Albert Prin, « Le Secret de Don Bosco », publié par la maison d’éditions Dupuis, et surtout « Don Bosco, vie anecdotique écrite au fil des ans », 1938. Des scènes et des dialogues sont repris tels quels. Pour ce récit, Jijé retravaille un style plus réaliste. Il improvise moins, il construit son récit d’avance, et certaines planches sont habilement composées. Surtout, il nous vaut un Jean Bosco énergique, évitant le côté doucereux qui entache souvent les vies de saints. Il fuyait tout ce qui ressemble à de l’endoctrinement. Il avouera avoir été conquis par Jean Bosco, un personnage remarquable, avec son engagement social avancé. Il respecte le merveilleux, qui donne à son récit un ton épique propre à plaire et emballer les jeunes. Il voit en Don Bosco l’idéal du prêtre, un homme de foi qui peut perturber, et même narguer le cléricalisme onctueux. Il n’est pas coincé dans les églises, mais il vit l’évangile dans la rue, en immersion au milieu des jeunes, et attentif aux mouvements de société.
Jijé met admirablement en valeur la vocation du prêtre. Dans sa famille, de 7 enfants, il y avait deux prêtres et deux religieuses. Sa sœur Thérèse, une religieuse truculente et qui avait les pieds sur terre, disait qu’au fond, son frère Joseph était celui qui avait la plus haute estime et la plus haute idée du prêtre et que, par respect, il s’en jugeait indigne. Dieu sait pourtant tout ce qu’il a fait pour les vocations salésiennes, pour la foi en l’évangile, et pour les jeunes.
Jean-François Meurs
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