Bailleul – les élèves conçoivent une école de musique
3 mars 2017
Comment (re)donner du sens au travail scolaire à des jeunes de lycée pro ? réponse à Sainte Marie de Bailleul, où les élèves travaillent ensemble sur le même projet durant un an. Il s’agit d’un vrai projet, répondant à une demande réelle de la mairie : transformer un ancien orphelinat en école de musique. Comment se déroule l’apprentissage ? Quels sont les impacts sur les jeunes ? L’équipe pédagogique témoigne de cette expérience innovante qui attire l’attention des centres de recherche pédagogique de la région.
En quoi consiste ce projet « école de musique » ?
L’objectif est de transformer un ancien orphelinat d’environ 800m² maintenant abandonné depuis une dizaine d’années en école de musique intercommunal. Nous proposons aux élèves dans le cadre de leur projet d’études de travailler sur la réhabilitation de la future école de musique de Bailleul avec, comme maître d’œuvre, la mairie de Bailleul. Ce projet sert de support pour l’évaluation des compétences professionnelles pour l’obtention du BEP « études du Bâtiment » et Bac pro « Technicien d’études du bâtiment ». Dans la classe, se met en place un fonctionnement de type bureau d’études. Et toutes les évaluations se font en situation de travail.
Pourquoi cette initiative ? Quel constat est à l’origine de cette action ?
A l’entrée en seconde, une classe de bac professionnel est composée d’élèves très différents : une majorité est en passe de décrochage scolaire pour divers raisons : handicaps, troubles de l’apprentissage, conflits éducatifs, démotivations scolaires… Ces élèves ont une relation conflictuelle avec l’école, un manque de confiance en soi et en l’adulte. Dans ce contexte, la mise en place d’une stratégie éducative et pédagogique globale, active, sur trois ans est indispensable : remobilisation, acquisition, immersion dans une situation d’apprentissage réelle. « L’autonomie que l’on nous accorde en classe est géniale » nous a dit Roman, 1ère. « Je m’entends bien avec mes profs, alors que cela n’a pas été toujours le cas ! ». Notre chance est de travailler avec la mairie de Bailleul qui nous offre des projets, pose ses exigences, et, en fin de parcours, expose les travaux des élèves dans la salle municipale.
Pouvez –vous nous en dire plus sur cette stratégie éducative et pédagogique ?
Une réflexion est menée, chaque année, pour permettre à nos intuitions éducatives et pédagogiques de devenir des intentions structurées. Cela permet ainsi de faire évoluer nos pratiques. Notre stratégie est le résultat de plus de dix années de travail. Elles sont en perpétuelle évolution.
Quelles sont les grandes lignes de votre progression ?
En seconde nous visons à installer une confiance mutuelle (élève/enseignant, élève/élève) pour aider l’adolescent à reprendre confiance en soi et en son avenir professionnel. C’est une phase clé. En classe de première, la relation de confiance installée va se transformer en un accompagnement, qui vise à autonomiser l’élève, pour atteindre petit à petit une posture professionnelle en lien avec le domaine étudié. C’est en terminale que la posture de l’enseignant change complètement. En effet l’enseignant va agir au milieu du groupe comme un collaborateur conseillant ses membres d’équipe en vue de la production d’un travail de niveau professionnel.
Comment se passe l’apprentissage, l’évaluation des compétences ?
La structure et l’organisation du projet sont calquées sur le travail réalisé en bureau d’études de maitrise d’œuvre. Nous suivons ainsi toutes les étapes chronologiques d’un dossier type de conception d’ouvrage. Les élèves partent de la demande du client, la mairie de Bailleul et s’inscrivent dans les différentes étapes du projet. Ils constituent un dossier complet détaillant les solutions techniques retenues. Au cours de ces étapes, les élèves peuvent décider de valider certains travaux associés à une compétence professionnelle particulière pour la validation de leur diplôme (BEP études du bâtiment et Bac pro technicien d’études du bâtiment).
Ils présentent leur projet sur un portfolio numérique, un book professionnel mettant en avant les productions réussies.
Nous tenons à rendre possible l’évaluation au moment où le jeune se sent prêt. C’est lui qui décide d’être évalué, au moment où il le souhaite, pas au moment où nous le souhaitons. Un bilan de compétences est réalisé à chaque fin d’année scolaire lors d’un entretien individuel pour aider l’élève à se positionner sur ses acquis.
Quels sont les objectifs visés ?
Cette stratégie éducative et pédagogique globale vise à donner plus de sens aux enseignements Car elle propose une application concrète des cours professionnels et généraux. Cela permet aux élèves de s’inscrire dans une perspective concrète de poursuites d’études (BTS le plus souvent) et/ou d’entrée dans la vie active (dessinateur projeteur). En fin de terminale, la majorité des élèves arrivent à se positionner sur leurs acquis et sont capables de définir clairement leurs compétences professionnelles.
Témoignages
Laurine, 1ère : « Le fait de travailler avec une vrai client nous donne une responsabilité. »
Léa, 1ère : « La méthode est bien car on prend confiance en nous »
Benjamin, 1ère : « Je me sens bien ici, on se croit plus en entreprise qu’au lycée et j’aime ça. »
Eva-Juliette, 1ère : « Je trouve que cette sensation d’être « Adulte responsable » est très enrichissante et motivante. »
Quels sont les effets recherchés pour les élèves ?
Pour les élèves, le projet vise à augmenter la motivation en donnant plus de sens aux enseignements dispensés. Il va également aider à renforcer la confiance en soi vis-à-vis de ses capacités, l’estime de soi dans un groupe. L’élève va acquérir une autonomie de travail sur projet et un regard critique sur ses productions professionnelles en fonction des attentes en entreprise. Le jeune peut ainsi mûrir un vrai projet professionnel et une poursuite d’études en accord avec ses désirs et ses possibilités.
Et au niveau de la classe, l’établissement ?
Pour la classe, le fonctionnement de type bureau d’études permet de renforcer les liens et l’esprit collaboratif dans la classe et entre les différents niveaux grâce aux travaux de groupe interclasses.
Pour l’école, la diffusion de cette façon de travailler auprès de toute l’équipe pédagogique (professionnelle et générale) des classes de Technicien d’études du bâtiment donne un sens global à tous les enseignements.
Quelle est la perspective de cette méthode de travail ?
Suite aux inspections académiques et réunions d’équipe pédagogique menées depuis décembre 2015, le projet fait l’objet d’une demande d’expérimentation auprès du service des innovations de l’Education Nationale. Le Laboratoire des Innovations Pédagogiques de l’Université du Littoral Côte d’Opale s’intéresse également à notre façon de travailler avec les élèves pour une réflexion d’application possible dans leurs cours.
L’équipe pédagogique professionnelle du lycée Ste Marie communique en détail sur sa stratégie pédagogique et éducative. En échange, la faculté joue le rôle de conseiller pour améliorer le travail existant et apporter de nouvelles idées ou outils (portfolio numérique par exemple).
La faculté à également mis en relation le lycée Ste Marie et des étudiants chercheurs en sciences de l’éducation pour que le projet fasse l’objet d’une recherche-action axée sur l’impact qu’il peut avoir sur le domaine conatif : motivation, confiance en soi, estime de soi.
L’équipe pédagogique du domaine professionnel du bâtiment :
Benoît Lemoine, Matthieu Nison, Pascal Pasquer, Jean-Noël Retaux, Jonathan Wyckaert