Qui est Artemide Zatti (1880-1951), ce Salésien de Don Bosco que le pape François fera saint le 9 octobre ?
24 septembre 2022
Le dimanche 9 octobre, Artemide Zatti, frère salésien coadjuteur décédé en 1951, souvent considéré comme un « Don Bosco argentin », sera canonisé par le Pape François sur l’esplanade de la Basilique Saint-Pierre. Artemide a servi, sa vie durant, en Patagonie, au service des malades et des pauvres. Quand il voyait arriver un gamin affamé et déguenillé, il demandait à la sœur : « Avez-vous un peu de soupe chaude et un vêtement pour un ‘Jésus’ de dix ans ? » Voici son histoire.
À l’âge de 9 ans, comme Jean Bosco à la Cascina Moglia, il fut « garçon de ferme » dans une vaste exploitation agricole de Boretto, petite ville sur le Po, en Emilie-Romagne (Italie). La fermette paternelle était trop pauvre pour nourrir la famille. Lever le matin à trois heures, avaler en vitesse une tranche de polenta avant de partir aux champs, tout le jour sous le soleil, le visage buriné par le travail et la faim, avec la peur de finir comme tant d’autres ouvriers journaliers tués par la pellagre ou d’autres maladies dès l’âge de 20 ans.
Il est né le 12 octobre 1880. L’Italie vivait une crise de l’agriculture, le chômage, la concentration des terres aux mains de quelques-uns, la misère qui fauche les paysans comme les épis de blé. Un oncle a déjà immigré en Argentine, comme tant d’autres qui peuplent cet immense pays. Il presse les Zatti de le rejoindre à Bahia Blanca : « Ceux qui travaillent ont de quoi vivre. » En 1897 (Artemide a alors 17 ans), le père emmène les siens en Amérique. L’oncle l’aide à mettre sur pied un étal au marché. Artemide travaille dans une briqueterie.
« Et si je me faisais salésien ? »
À Bahia Blanca, beaucoup d’immigrés sont hostiles à l’Eglise. Les Zatti vont à la messe tous les dimanches. La paroisse est tenue par les salésiens de Don Bosco arrivés au pays 22 ans plus tôt. Artemide aide volontiers le père Carlo Cavalli à l’église. Il l’accompagne dans la visite des malades. Don Carlo lui met dans les mains une « Vie de Don Bosco ». Il l’avale d’une traite. Une idée fait son chemin : « Et si je me faisais salésien ? » Il a 19 ans. Son père approuve : « Tu as l’âge de décider de ta vie. Mais réfléchis bien, si tu commences, tu dois aller jusqu’au bout. »
Il rejoint d’autres jeunes candidats à Bernal, près de Buenos Aires. Un jeune salésien est frappé de tuberculose et il se prête à le soigner et l’assister. Il contracte la maladie. Il a 22 ans. Le médecin qui le visite conseille le grand air dans les Andes. Mais Artemide n’est pas en état de supporter le voyage. On l’envoie à Viedma où l’air est sain, et où il y a un excellent « médecin ».
Les riches paient le double, les pauvres rien
La ville est un amas de baraques pitoyables où s’entassent aventuriers, indigènes, soldats, à la merci des épidémies, sans médecins ni les remèdes les plus élémentaires. Le père Evasio Garrone, salésien, qui avait été infirmier dans l’armée, a mis sur pied une pharmacie et fait office de médecin. Le mode de fonctionnement est particulier : les riches paient le double pour leurs remèdes, et les pauvres ne paient rien. À côté de la pharmacie, une étable a été nettoyée, désinfectée et aménagée en « hôpital » avec un lit pour accueillir ceux que l’on ne peut soigner chez eux. Don Garrone promet à Artemide qu’il guérira en un mois, s’il fait la promesse à Marie Auxiliatrice de s’occuper des malades. Cela prendra quand même deux ans, mais il guérit miraculeusement.
En 1908, il a 28 ans, il prononce ses vœux définitifs comme salésien. Entretemps, il a repris des études, comblant les lacunes de son enfance. La maladie a fait mûrir une décision : il renonce à devenir prêtre et choisit l’état de frère coadjuteur, pour se consacrer à aider le père Garrone. Quand celui-ci meurt, il se retrouve seul à la tête de la « Pharmacie Saint-François » et de « l’hôpital de Saint-Joseph ». Pour être en règle avec la loi, le supérieur salésien engage un médecin diplômé, mais dans les faits, c’est Artemide qui soigne tout le monde, avec son savoir limité, mais avec son énorme affection.
Un nouvel hôpital
En 1913, son grand projet commence à se réaliser : la pose de la première pierre d’un nouvel hôpital. On construit par étapes, au fur et à mesure que l’argent arrive : d’abord le rez-de-chaussée, puis le premier étage, et un second, mis successivement en service.
Car la fatigue la plus grande, c’est de trouver l’argent nécessaire à la gestion de la pharmacie et de l’hôpital en maintenant la possibilité de soigner les pauvres gratuitement. Quand il vient à manquer, Artemide prend sa bicyclette et va frapper à la porte des riches. Mais ils ne sont pas bien nombreux. Il leur demande de faire un prêt au Seigneur, qui se chargera de leur rendre. Il insiste : « Le Seigneur a dit que ce qu’on faisait pour un malade, c’est à lui qu’on le faisait. C’est donc un bon placement ». Il fait la même proposition à la Banque Nationale, mais là, ça ne marche pas, car la banque finit par lui réclamer le remboursement de sommes colossales. Le jour où il est mis en demeure, il est anéanti, et il se met à pleurer. Alors, un employé de la banque téléphone à l’évêque et lui expose le cas. L’évêque commence par grogner, mais il a l’habitude et il s’informe de l’argent disponible : tant pis, on prendra celui qui était prévu pour l’impression du prochain journal du diocèse.
Un habit… « pour le Seigneur » !
Un pauvre bougre arrive à l’hôpital habillé de guenilles. On le soigne, mais on ne peut pas le laisser partir vêtu de loques, alors, Artemide va trouver une famille et demande s’il n’y a pas un habit « à prêter ». On lui apporte un vieux costume tout usé. Alors, il demande s’il n’y en a pas un plus beau, c’est pour le Seigneur, il faut qu’il soit chic !
Une pharmacie vient s’installer tout près, avec un pharmacien diplômé. Selon la loi, celle d’Artemide devrait fermer ; mais alors, il n’y aura plus de gratuité pour les pauvres !? Zatti use tout le temps qu’il peut dégager pour étudier la pharmacie et passe le diplôme avec succès : la pharmacie de l’hôpital peut continuer tranquillement.
Cinq jours en prison…
Son service ne se limitait pas à l’hôpital, mais s’étendait aux deux villes situées de chaque côté du fleure Negro : Viedma et Patagonès. Lorsque c’était nécessaire, il accourait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, par tous les temps. Sa renommée s’étendit à toute la Patagonie, et on venait de loin pour se faire soigner. Il ne prenait guère de repos … Sauf les cinq jours passés en prison, accusé d’avoir favorisé la fuite d’un prisonnier qu’il avait accueilli dans son hôpital.
Le 19 juillet 1950, le réservoir d’eau est défectueux. Sous la pluie, il rampe sur une longue échelle pour aller réparer. Il a septante ans ! Un pied glisse, l’échelle bascule, et c’est la chute. Il est blessé à la tête, il a des contusions partout. Il passe des examens : il y a cette douleur insistante au flanc gauche et des dérangements continuels. Il connaît assez de médecine pour faire le diagnostic : « C’est une tumeur au pancréas, inutile de s’acharner, il n’y a aucun remède. »
Il souffre surtout d’être devenu inutile. Quand on lui demande comment il va, il regarde vers le ciel et dit : « Je vais là-haut ». Il fait le voyage le 15 mars 1951.
Jean-François Meurs (SDB),
d’après le Bollettino Salesiano de mai 2022