Recherche : dans les collèges, comment « réussir » une sanction ?
16 décembre 2016
Sanction. Voilà un mot bien désagréable ! Si l’on ne sanctionne pas pour le plaisir, on le fait d’abord pour transmettre des limites et des repères et pour responsabiliser le jeune. Alors que certains dépeignent parfois la pédagogie salésienne, dont le socle est le système préventif, de « laxiste », Emmanuel Besnard montre que la question de la sanction est prise au sérieux dans les établissements du réseau Don Bosco où il pilote une recherche. Interview.
Don Bosco Aujourd’hui : Comment accueille-t-on la parole d’un jeune au cours d’une sanction ?
Emmanuel Besnard,
salésien prêtre, éducateur
La question de la sanction nourrit le travail d’Emmanuel Besnard depuis des années. Une de ses convictions est que la prise en compte de la parole du jeune est importante. Il a sur ce thème dirigé une recherche de trois ans réalisée dans les collèges du réseau Don Bosco. Il est formateur du service formation des Maisons Don Bosco.
Prochaine session sur la sanction
du service formation des AMDB
Emmanuel Besnard : Il y a peu de lieux pour cela dans les établissements scolaires. A la question « Le jeune a-t-il eu la parole ? », certains répondent : « Je ne lui ai pas donné la parole car il la prend tout seul». « L’espace de cours n’est pas le bon lieu pour parler ». Or, rares sont les enseignants qui en proposent d’autres. « Les mots dans le carnet ne me font pas trop comprendre les choses, j’aurais préféré qu’elle me parle », dit un jeune. « Après ils parlent de confusion, mais ils ne nous laissent pas nous exprimer », confie un autre.
D.B.A. : Dans les collèges, il y a des enseignants, des éducateurs de vie scolaire. Comment travaillent-ils ensemble ?
E. B : Le travail d’écoute des élèves est réalisé par les éducateurs de vie scolaire. Ils jouent en effet ce rôle essentiel dans l’accueil et l’écoute des adolescents sanctionnés.
Cependant, on peut s’interroger sur l’impact de leur écoute chez le jeune, notamment lorsqu’il est en situation d’incompréhension avec l’enseignant. Les résultats de la recherche montrent qu’il y a peu de collaboration entre éducateurs de vie scolaire et enseignants. Pour certains enseignants, « à partir du moment où ça passe à la vie scolaire, on n’est plus au courant ».
« La communication entre enseignants et éducateurs
de vie scolaire gagnerait à être développée »
D.B.A. : Le travail d’équipe entre adultes de la communauté éducative est donc important.
E.B : En effet, le suivi des sanctions est assez segmenté : certains élèves sont suivis par les enseignants, d’autres, par les éducateurs de vie scolaire, sans qu’ils se croisent ou se parlent. La recherche manifeste toutefois qu’un réel travail d’équipe s’opère ailleurs dans la communauté éducative : concertation entre deux enseignants ou deux éducateurs, entretien avec la famille. Les lieux où se recueille la parole du jeune sont variés. Il en ressort une mosaïque d’espaces-temps que la communauté éducative assemble au mieux pour répondre aux écarts de comportement des adolescents.
D.B.A. : La clé de la sanction se situe au moment où le jeune se reconnait l’auteur de la faute commise. Comment identifier ce moment charnière ?
Une recherche-action
Une recherche-action a été menée durant trois ans sur la place de la parole du jeune dans le dispositif de sanction. La recherche, menée par le service formation du Réseau Don Bosco, a été réalisée à partir d’interviews recueillies auprès d’élèves de 4è scolarisés dans plusieurs établissements du réseau Don Bosco : Notre-Dame des Minimes à Lyon, collège Sévigné à Marseille, Fondation Don Bosco à Nice, collège La Navarre à La Crau, lycée agricole du Bocage à Chambery.
E. B : La plupart des adultes interviewés disent attendre que le jeune constate la faute. D’autres tentent d’initier une réflexion plus approfondie : « Sais-tu pourquoi tu es là aujourd’hui ? » Ou bien ils lui font écrire une lettre. Ou cela passe par le conseil de discipline : « Cela l’aide à prendre conscience. Avant cela, il ne réalisait pas. »
Dans certains cas, les adultes sanctionnent avant tout pour que le jeune ne récidive pas. Dans d’autres cas, les adultes sanctionnent avant tout pour que le jeune réfléchisse. Pour eux, l’essentiel est que le jeune intériorise la norme qu’il a transgressée, afin qu’à l’avenir, il s’oblige à la respecter. Cette intériorisation n’est possible qu’à partir du moment où la norme prend (un peu plus) sens pour lui.
D.B.A. : Vous mettez l’accent sur la clôture de la sanction. Que voulez-vous dire par ce mot « clôture » ? Quelle est sa définition ?
E. B : On peut en distinguer au moins trois formes différentes. Tout d’abord, la clôture peut être la reprise d’un lien « normal » lorsque le jeune sanctionné revient en cours. Ensuite, on parle de clôture de la sanction au moment où le jeune comprend véritablement ce pour quoi il a été sanctionné. La présentation d’excuses est un indicateur pour repérer ce moment : « La prof m’a dit : tu t’es excusé, tu peux retourner en cours. » Enfin, on peut parler de clôture lorsque l’adulte transmet une parole de restauration au jeune qui a été sanctionné « C’est bien, tu as compris. » Et on valorise les progressions. Par exemple, « Dans le bulletin, on a écrit qu’il a respecté les engagements ».
Au fond, définir ce qu’est la clôture de la sanction et ses effets revient à s’interroger sur les conditions qui permettent à un élève sanctionné d’être restauré dans ses capacités à faire mieux.
L’essentiel
- Ne pas sanctionner, c’est ne pas montrer les limites.
- Pour que la sanction soit réussie, il est nécessaire de trouver des lieux et des moments qui favorisent la prise de parole du jeune et son écoute.
- Il faut que tous les adultes concernés travaillent ensemble.
- Il s’agit d’être inventif. Trouver des contenus de sanction responsabilisants dans lesquels le jeune peut devenir acteur.
- Toute sanction doit être porteuse d’une promesse d’être réhabilité dans le regard des adultes.
« La question de la sanction pose l’enjeu d’une saine
articulation entre écoute compréhensive et fermeté. »
D.B.A. : La sanction doit finalement permettre au jeune de progresser.
E. B : Dans 60% des cas environ nous avons repéré des effets réflexifs : les jeunes se reconnaissent à l’origine de l’écart de comportement. Mais, dans la moitié de ces 60%, l’élève considère que la sanction donnée par les adultes reste néanmoins injuste, car elle n’a pas pris en compte la complexité de la situation.
La question de la sanction pose l’enjeu d’une saine articulation entre écoute compréhensive et fermeté. Ce point d’équilibre reste délicat à trouver. Un enseignant l’a clairement nommé dans une interview : « Je n’ai pas réussi à prendre de la hauteur. J’ai mal géré. J’ai utilisé la stratégie de laisser la parole mais cela a dégénéré. J’ai coupé court et suis devenu autoritaire. Peut-être que ça aurait été mieux si j’avais été autoritaire de suite. Je ne sais pas. Je pense que tout s’est joué à la première confrontation. J’ai été trop tolérant. »
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