Sept associations dédiées à l’insertion des jeunes embarquées
« Il n’y a pas d’endroit où l’on peut respirer plus librement que sur le pont d’un navire. » Elsa Triolet avait raison. Tout comme la Caisse d’Épargne Auvergne-Limousin et la fondation Belem qui ont eu l’heureuse idée, pour la première fois, de convier à bord sept associations dédiées à l’insertion des jeunes.
En situation de handicap psychique, mental ou atteints de troubles du spectre autistique, petits délinquants, relevant de l’aide sociale à l’enfance ou mineurs non accompagnés, ces jeunes affichaient des profils particulièrement différents. Tous dans la même galère, même dans la plus belle des galères, ils ont fait l’expérience de la solidarité et du vivre ensemble. C’était pas des amis de luxe, des petits Castor et Pollux. Mais ils auraient plu à Georges Brassens quand ils sont montés à bord, dans le port de sa bonne ville de Sète.
Le Belem, un musée où l’on apprend la vie
Le Belem est un musée où l’on apprend la vie. Certes, sur une période aussi courte, ils n’ont pas pris les quarts de nuit, ni briqué les cuivres. Mais ils ont grandement participé à la vie à bord en manœuvrant les voiles ou en donnant la main en cuisine et au service.
Les bienfaits de l’éducation positive
Le capitaine Andrew (ça claque quand même) était encadré par Stéphane Dutour, éducateur spécialisé de l’association Alteris qui œuvre dans le Puy-de-Dôme. Celui-ci affiche un large sourire de satisfaction : « Pour ces trois jeunes relevant de la protection de l’enfance, cela permet de développer le dépassement et l’estime de soi. Une preuve que l’éducation positive n’est pas un vain mot. »
« En faisant partie de l’équipage, se montrant très volontaires, ces jeunes déficients intellectuels bénéficient d’un sentiment de valorisation énorme, confirme Aurélie Malartre, éducatrice spécialisée au sein de l’IME Marie-Chantelauze de la Chaise-Dieu, en Haute-Loire. C’est même indescriptible. Cela leur offre un changement d’horizon complet. Certains n’avaient jamais vu la mer ! C’est aussi important pour les rapports avec la communauté éducative : cela nous offre l’opportunité de nous créer des souvenirs en commun. »
Une expérience inoubliable
Pour les encadrants aussi l’expérience restera inoubliable : « Carguez le petit cacatois, bordez la misaine et hissez le foc d’artimon ! Ça ne veut pas dire grand-chose mais j’ai toujours rêvé de crier ce genre d’ordres qui réveillent l’imaginaire. Rien que pour ce vocabulaire qu’il sera impossible de recaser dans une conversation de tous les jours, cela valait le coup de venir », s’amuse Arnaud Villeneuve, éducateur sportif au sein de l’ADASEA du Cantal. Avec sa collègue Cathy Bignon, ils ont embarqué trois jeunes avec l’idée de leur faire vivre une expérience inédite et collective : « C’est idéal pour la cohésion. Cela demande d’être réactif et d’agir ensemble dans la seconde. C’est forcément enrichissant. Sans parler de la déconnexion et du côté dépaysant. »
« Tous étaient motivés et intéressés par la perspective de monter à bord, ajoute Olivier Zen, éducateur à l’Apajh de la Creuse. L’idée de départ était de sortir de notre environnement habituel et de confronter les jeunes à la mer. Mais aussi de rencontrer d’autres parcours, d’autres profils venus de milieux qu’ils ne fréquentent pas habituellement. D’un coup, leur quotidien est très loin. Cela les place dans des situations un peu moins confortables tout en restant épanouissant. Certes, on a mal dormi dans nos cabines et nos couchettes exiguës. Mais ce n’est pas une croisière de plaisance ! Et l’essentiel était de voir des sourires sur les visages. »
Titiller les imaginaires et découvrir de nouveaux ailleurs
Le temps d’un week-end, Roger-Léo apprécie de s’évader du Centre éducatif fermé des Monédières en Corrèze, qui relève de l’ALSEA de Limoges : « Je trouve cette expérience positive grâce notamment à la découverte du métier de marin. C’est un univers qu’on n’a pas l’habitude de fréquenter. Ça sort de l’ordinaire. C’est dur, mais c’est beau. Cela demande du courage. Je mesure la chance que nous avons de monter et de travailler sur l’un des plus vieux navires du monde. Cela fait réfléchir quand on imagine tout le monde qui est passé par là depuis 1896 ! »
Charles Poitevin, art-thérapeute au sein de ce CEF, reste enthousiaste : « C’est l’occasion unique de leur montrer des ailleurs. Ils peuvent rencontrer d’autres gens, d’autres manières de penser, de nouvelles pratiques. C’est une formidable ouverture sur le monde. Quand je vois comme ils accrochent, cela donne envie de tenter l’expérience sur une période plus longue. La mer, le vent, c’est plus fort que nous. Ces jeunes ont souvent eu des rapports compliqués avec l’autorité. Mais sur un bateau, ils comprennent qu’il est impératif d’adhérer à l’autorité pour avancer. »
Hisser les voiles au large de Sète
Après avoir passé une courte nuit à bord dans le port de Sète, ce joyeux équipage a pris le large dans le golfe du Lion. Sans sourciller et avec entrain, tous ont joué le rôle des petits moussaillons et participé à hisser les voiles ou à ranger les cordages sous les ordres des seize marins professionnels qui œuvrent à bord toute l’année.
Les deux jeunes filles qui relèvent de l’aide sociale à l’enfance et soutenues par l’association Le Cap, à Montluçon, se sont montrées appliquées, que ce soit pour tenir la barre ou pour carguer le grand hunier. « Elles ont très rapidement pris conscience qu’elles vivaient une expérience unique, insiste leur monitrice-éducatrice, Florence Micheau. Je n’ai jamais eu besoin de les pousser, elles se sont naturellement montrées volontaires. C’est réjouissant de les voir s’investir et de s’épanouir en vivant quelque chose de nouveau. »
La solidarité n’est pas un vain mot
Emmanuel Duterde, éducateur spécialisé, et Valérie Bruyère, conseillère d’insertion professionnelle au sein de l’institut Don Bosco, plateforme qui accueille Mamadou et plusieurs mineurs non accompagnés en Corrèze terminent sur une note émouvante : « Cet accès au Belem reste un privilège, une chance incroyable. Cela permet aux jeunes de réaliser qu’un bateau comme celui-ci ne fonctionne qu’avec un équipage. Ici, tout seul, on n’est rien. Il faut une conscience collective et un but commun. »